Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
499
J. PAYOT.sensation, plaisir et douleur

mais il est complètement faux que toute dépense soit douloureuse ; notre organisme ne produit qu’une quantité limitée de forces. Les organes de la vie végétative qui travaillent jour et nuit comme le cœur, les poumons, etc., en usent une bonne partie et ce qu’ils ne consomment pas demeure disponible pour les actions qui ne sont que médiatement utiles à la vie, et pour les actions de luxe. Si la réaction à une impression dépense non seulement ces forces disponibles, mais encore fait appel aux forces indispensables à la vie, alors, mais alors seulement, et quelque petite que soit la dépense, il y a douleur. C’est ainsi que l’air frais du matin, agréable en santé, provoque des frissons désagréables en temps de maladie ; que le jeu, agréable lorsqu’il y a exubérance de forces, devient pénible dans le cas contraire ; qu’une excursion commencée avec un vif sentiment de plaisir s’achève, si elle se prolonge, dans une dépression très pénible. Une action d’abord très agréable finit donc par devenir pénible lorsque la réaction dure trop et s’opère enfin au détriment des forces vives indispensables à la vie.

Ce fait explique que les douleurs aient un caractère d’autant plus dépressif que leur cause attaque des fonctions dont l’intégrité importe plus à la vie : une douleur de dents peut nous laisser notre gaîté, une suffocation provoque aussitôt une souffrance intolérable. C’est que toute atteinte grave fait brusquement tomber le niveau des forces au-dessous du niveau nécessaire et oblige les fonctions vitales à résoudre le problème qu’impose Harpagon à son cuisinier : faire bonne chère avec peu d’argent. Et les douleurs organiques ne proviennent jamais, comme le croit Spencer, d’une inaction excessive des organes, mais bien d’un changement du rapport entre le doit et l’avoir : lorsque de positif ce rapport devient négatif, la douleur fait irruption dans la conscience’ ; elle est le sifflet d’alarme qui indique que le niveau des forces est très bas. Ce changement de rapport peut provenir d’une exagération de la dépense, ou bien d’une diminution dans les recettes. La cause dans les deux cas est la même : le terme seul qui change varie. Lorsque ce rapport devient fortement négatif, un appel de forces instantané a lieu partout où il y a des forces non rigoureusement indispensables à la vie.

La preuve cruciale de cette assertion est fournie par un cas qui paraît la contredire formellement : je veux parler de la contraction des muscles de la face sous l’influence de la douleur. Cette contraction semble impliquer une dépense, et, qui pis est, une dépense inutile. Or il n’en est rien : la dépense est effectuée par des muscles de petit volume dont la contraction peut seule rendre complet le relâchement de muscles plus volumineux ; « par une légère tension des