Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/504

Cette page n’a pas encore été corrigée
494
revue philosophique

une étendue supérieures les mouvements musculaires aux circonstances extérieures. Souvent même elle n’arrive pas, comme dans les exemples cités plus haut d’impressions produisant pendant le sommeil des modifications étendues dans l’organisme. Elle ne surgit pas non plus dans les cas où, par suite des nécessités de la défense, la réaction organique est devenue extrêmement rapide : car on sait que la conscience ne traduit que les états physiologiques qui durent au minimum de 0",02 à 0",04 (pour les sensations lumineuses). C’est ainsi qu’une ombre portée brusquement sur les yeux provoque instantanément, non seulement une modification d’ordre viscéral, mais un acte musculaire de protection : celui de cligner les yeux ou de détourner la tête. La sensation d’une chute commençante nous fait jeter les bras en avant, et les jeunes soldats, même aux grandes manœuvres, baissent la tête sans le vouloir ni le savoir lorsqu’on tire le canon.

Il ne faut pas l’oublier, nous n’avons en quelque sorte la jouissance que d’une part limitée de conscience ; nous devons l’économiser, et si l’organisation automatique des acquisitions simples ne la rendait disponible pour des acquisitions plus complexes, nul progrès ne serait possible. Elle n’a d’autre fin que de se rendre inutile partout où cela est possible : elle crée les habitudes, et aussitôt elle disparaît. Aussi lorsqu’une impression se répète fréquemment, la réaction complexe à cette impression se prend en un tout, s’organise et devient de plus en plus rapide. Or, tandis que le temps moyen pour l’apparition de la conscience perceptive est de 0",026, le temps moyen pour l’apparition de la conscience affective (plaisir et douleur) est cent fois plus considérable : de sorte que les sensations ordinaires ne tardent pas à devenir, dès que la réaction est solidement organisée, des états froids.

Tant que la sensation occupe tout le champ de la conscience, il est clair que l’esprit ne peut considérer les rapports de cette sensation avec les souvenirs de sensations antérieures : il est donc nécessaire que chaque sensation, tout en occupant une place dans la conscience (sans cela nous ne la connaîtrions pas) n’occupe qu’une place très petite. En d’autres termes l’intelligence ne peut prendre naissance que lorsque les sensations devenues habituelles cessent d’être entièrement affectives et d’absorber toute l’attention. Tout ce que gagne la connaissance, elle le gagne au détriment de la sensibilité. Une sensation est alors aussitôt reconnue comme semblable à d’autres et classée avec elles automatiquement. La couleur rouge que j’aperçois est immédiatement reconnue comme rouge. À partir de ce stade, la sensation perd presque entièrement son caractère affectif : son