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J. PAYOT.sensation, plaisir et douleur

trique. Bien, plus, ces excitations augmentent le volume de l’avant-bras et de la main : c’est que ces parties du corps entrent dans tous les mouvements défensifs. Schiff et Vulpian ont démontré que la pupille se dilate sous l’influence d’une sensation quelconque ; la vessie, le sphincter subissent le contre-coup de toute excitation, etc.

Nous pourrions entasser les faits analogues, mais ils sont trop connus, et la tâche est trop facile.

Il ressort désormais avec une clarté limpide que toute impression faible ou forte a un retentissement dans toute la profondeur du corps humain : notre organisme est une harpe éolienne que le moindre souffle fait vibrer.

Eh bien, ce que la sensation exprime, c’est ce retentissement tout entier : toute sensation plonge intimement dans la vie viscérale. Toute sensation est cénesthésique. Toute sensation exprime en termes de conscience le corps entier. Spinoza l’avait entrevu puisque pour lui « une image, c’est une idée qui marque la constitution présente du corps humain bien plus que la nature des corps extérieurs[1] ».

Ce qui dissimule ce grand fait dominateur, c’est la localisation très précise que nous faisons de nos sensations dans les organes sensoriels. Mais cette localisation est acquise : tout le monde le sait, verbalement du moins. Les traités à l’usage des élèves insistent même longuement sur ce point : mais personne ne se rend compte des conséquences considérables de cette théorie des localisations et on ne voit pas combien elle doit modifier profondément nos conceptions sur les phénomènes psychologiques et en particulier sur la sensation, sur le plaisir et sur la douleur. La preuve que cette connaissance du caractère illusoire des localisations demeure verbale, c’est qu’on n’en rapporte pas moins à l’organe du sens seul ce qui est le résultat d’un état très complexe du corps : c’est ainsi qu’on attribue au général l’honneur de la victoire due aux efforts de l’armée entière. Il est si vrai que cette localisation est illusoire qu’elle n’est véritablement précise que lorsque les mouvements explorateurs ont permis, par leur facilité, d’innombrables expériences : aussi localisons-nous fort mal les sensations dont le point de départ se trouve dans des organes inaccessibles au toucher, comme la rate et le foie.

Il importe de noter que l’effet de l’impression externe sur les viscères est immédiat : la conscience n’est qu’un épi phénomène qui apparaît tardivement ; elle trouve à son arrivée la défense déjà préparée et elle n’a pour fonction que d’adapter avec une précision et

  1. Ethic, II, 25.