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les deux éléments incompatibles, la vérité d’en haut et la vérité d’en bas, la révélation et la science. Il n’y a pas de philosophe, si conciliant qu’il soit, qui voudrait s’exposer à mériter le mot cynique et juste dont se servit Proudhon pour flétrir les manœuvres du sophiste disert qui fut le maquignon de la philosophie, et qui voulut à toute force associer Descartes à son triste métier d’entremetteur. Que l’Espagne se console, en sa décadence, de n’avoir pas produit un homme comme celui-là.

Ce qu’il y a d’étrange dans ce projet de restauration de la philosophie espagnole par l’histoire, c’est que Gomez Pereira, Huarte et Oliva Sabuco, les seuls peut-être qui méritent le titre de philosophes, sont traités comme des personnages secondaires, à cause sans doute de leurs tendances nettement sensualistes et empiriques. Aussi paraît-il difficile de les rattacher à Vives, humaniste érudit, excellent pédagogue, hardi commentateur ; mais étranger aux sciences naturelles, et ne sachant rien de la nature humaine telle que la connaissent les médecins ; de sorte qu’en métaphysique et en psychologie, il a bien pu toucher à la méthode, mais sans discuter les principes. Il est vrai que ces réactionnaires qui s’appellent néo-catholiques en Espagne en sont encore à la thèse absurde de Jouffroy sur la légitimité de la séparation de la psychologie et de la physiologie, qui sont aussi inséparables que le physique et le moral, ou, pour employer une comparaison vulgaire, que les deux faces d’une médaille. Les médecins du corps le sont ou doivent l’être aussi de l’âme. Il y a beau temps que les aliénés ne sont plus livrés aux conjurations et aspersions des exorcistes ; et ce n’est pas d’aujourd’hui que les philosophes se croient tenus de connaître la pathologie mentale et les affections du système nerveux. Les maladies de l’esprit appartiennent à la science de l’esprit. Pour philosopher avec fruit, il est indispensable de connaître la science de l’homme, laquelle ne fut pas cultivée par les scolastiques, et ne l’est pas davantage par leurs successeurs.

Du reste, il faut rendre justice aux auteurs du fatras en deux volumes qui porte ce titre alléchant et inexact, la Ciencia española (Madrid, 1887), et dont nous résumons ici la substance. Ils ne savent rien de la nature vivante ni de la vie. Ils ne connaissent que les livres. Encore n’ont-ils pas appris à lire entre les lignes, ce qui est indispensable pour certains auteurs, tels que ceux qui ont écrit sous l’œil vigilant de la police cléricale avec privilège du roi et approbation de l’ordinaire. Ils se figurent, ces hommes bien pensants, qu’il suffit d’être bibliophile ou bibliographe pour paraître