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J.-M. GUARDIA. — histoire de la philosophie en espagne

calomniez sans le savoir ; car vous ne connaissez ni les savants ni les philosophes espagnols. Vos préjugés vous condamnent à l’ignorance. Vous n’avez pas lu, vous ne savez pas lire les grands théologiens, les grands casuistes, les grands mystiques, les grands scolastiques, les grands mathématiciens, les grands médecins, les grands naturalistes qui florissaient sous les règnes de Charles-Quint et de son fils. On nous admirait beaucoup au concile de Trente. Nous envoyions alors des professeurs aux grandes universités d’Angleterre, de France, des Pays-Bas, d’Italie, sans parler des maîtres qui étaient la gloire de Salamanque et d’Alcala. Votre ignorance vous fait chercher ailleurs ce qui abonde chez nous. Les écrits de nos penseurs en tout genre fourniraient ample matière non seulement pour une histoire de la philosophie espagnole, mais à l’histoire de la philosophie générale. C’est de chez nous que sortirent les premiers réformateurs de l’enseignement et de la méthode philosophique, les précurseurs qui montrèrent le chemin aux Italiens, aux Français, aux Allemands, aux Anglais, aux Flamands. Notre philosophie commence avec Sénèque, se poursuit avec saint Isidore, s’épanouit avec les Juifs et les Arabes, s’accroît avec les philosophes catalans ; brille du plus vif éclat dans les écoles, sous le nom de philosophie scolastique, ou plutôt de philosophie espagnole, suivant la dénomination de Leibniz. Enfin, Jean-Louis Vives parut, et la philosophie fut renouvelée. Il n’est pas un seul des modernes maîtres de la pensée qui ne relève de cet universel réformateur. »

On dit que ce grand humaniste excellait surtout par le jugement. Que penserait-il donc de ceux qui en manquent au point de lui attribuer un rôle qui ne fut jamais le sien ? Jamais conciliateur ne fut chef d’école ; et l’on n’avait pas besoin pour le savoir de l’avortement misérable de cette doctrine bâtarde qui se parait du nom discrédité d’éclectisme. Le judicieux Vives s’étonnerait sans doute de se voir glorifié, exalté jusqu’à l’apothéose par le parti orthodoxe, qui ne peut ignorer que l’érudit Mayansy Siscar n’osa pas admettre dans la belle édition qu’on lui doit des œuvres de Vives son commentaire de la Cité de Dieu de saint Augustin, à une époque où l’Espagne jouissait d’une tolérance relative.

Décidément les restaurateurs orthodoxes de la philosophie espagnole n’ont pas la main heureuse. Ils ne sauraient convenir que, pour philosopher, il faut commencer par se dégager de tout préjugé d’école ou d’Église, et que le doute méthodique impose d’autres obligations que celles dont se contenta Descartes. Le bon Leibniz, malgré sa vaste intelligence, n’a point échappé au ridicule en prétendant accorder