Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
481
J.-M. GUARDIA. — histoire de la philosophie en espagne

d’Ignace de Loyola, aux dépens de Luther ; la commémoration de l’acte de foi de Madrid, en 1680, acte où figuraient cent vingt condamnés à mort, dont vingt et un furent brûlés vifs, en présence de la cour, de quatre-vingt-cinq grands d’Espagne, des autorités ecclésiastiques et civiles, et d’une foule curieuse, dévote et enthousiaste (p. 129).

Ces aveux sans artifice, sanctionnés, ratifiés par une assemblée littéraire qui passe pour compter parmi ses membres l’élite des auteurs espagnols ; ces aveux sincères peuvent servir à faire mieux connaître l’état mental et moral de l’Espagne contemporaine. Mais tout n’est pas dit. Après l’apologie timide et quasi honteuse des institutions civiles, politiques et religieuses qui précipitèrent l’Espagne au fond de l’abîme, mientras que España cayó en profunda sima (p. 114), il faut entendre le panégyrique sans sourdine de ces mêmes institutions, et voir comment leurs admirateurs conçoivent l’histoire de la philosophie en Espagne, ou, comme ils disent, l’histoire de la philosophie espagnole. Ce qui sera pour le moins aussi instructif et édifiant que l’analyse d’une autre étude du même publiciste, De la perversion moral en la España de nuestros dias (p. 181-205), tout à fait digne de l’attention des moralistes.

II. — Les Sectaires.

Un illustre médecin portugais qui fut professeur à l’université de Pise, Roderic de Castro, mort en 1637, a écrit un curieux petit livre, intitulé Quæ ex quibus, opuscidum, sive de mutatione aliorum morborum in alios (Florence, 1627, in-12), souvent réimprimé. Ce titre original s’adapterait merveilleusement à l’histoire de l’esprit et des mœurs en Espagne. On y verrait par combien de maladies graves a passé cette malheureuse nation, depuis que la diathèse catholique l’a conduite insensiblement à la cachexie, à l’étisie et au marasme, par une perversion croissante de l’organisme. Voici plus de trois siècles qu’elle est dans un état pathologique qui tour à tour s’aggrave et semble s’améliorer, comme il arrive pour les affections chroniques. C’est un beau cas clinique, une observation précieuse et rare, particulièrement au point de vue moral et mental. Quand les médecins de fous consentiront à étendre le cercle de leurs études empiriques, en abordant ces aliénations générales, ces dégénérescences endémiques, ils n’auront qu’à prendre note des conceptions délirantes qui, sous les formes les plus diverses, ont conduit l’Espagne à deux doigts de la démence.