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la liste, ayant trouvé qu’on avait philosophé en Espagne avant l’impie Averroès, et qu’on ne cessa point de philosopher après Huarte, qui ne valait guère mieux. Aujourd’hui le programme qui s’impose au futur historien de la philosophie espagnole embrasse tout l’espace compris entre Sénèque et Balmès, autrement, depuis le règne de Caligula, sous lequel Sénèque commença d’écrire, jusqu’à celui de la fille de Ferdinand VII, sous laquelle Balmès faillit compromettre la cause qu’il défendait en bon polémiste avec éon collaborateur Donoso Cortez.

À bien des gens la gravité tient lieu de sérieux. Ce n’est pas le cas de M. Juan de Valera. Rien n’est plus plaisant que ses réflexions sur cet arbre généalogique de la philosophie espagnole, dressé par M. Gumersindo Laverde Ruiz. Il tient absolument à prouver que la plupart de ces patriarches philosophes lui sont de tout point inconnus ; mais il ne peut s’empêcher de recommander l’étude des maîtres de la philosophie espagnole du xvie siècle qui se firent connaître au concile de Trente, qui enseignèrent à Paris, à Rome, dans les universités de Belgique et de Hollande, provinces qui appartenaient alors à l’Espagne, sous le nom collectif de Pays-Bas, mettant à leur tête deux théologiens, le jésuite Suarez et le dominicain Melchior Cano. Théologie, philosophie, galimatias et pêle-mêle. L’Espagne comptant un nombre infini de théologiens scolastiques, mystiques, casuistes, réputés philosophes, l’historien de la philosophie espagnole se trouverait fort empêché de rendre justice à tout le monde ; il pourrait dire comme Tite-Live : fecit fastidium copia, et serait obligé de se restreindre dans le choix qu’il en faudrait faire. C’est sans doute pour lui rendre la tâche facile, que l’obligeant critique veut bien donner quelques indications pour cette histoire de la philosophie espagnole, qui serait l’histoire de la théologie philosophique, ou de la philosophie théologique, peu importe ; car du moment qu’on accouple de force ces antinomies, théologie, philosophie, l’ordre des mots est parfaitement indifférent. L’essentiel est de multiplier les grains de cette sorte de chapelet philosophique ou théologique, ou mieux théologico-philosophique, de manière à faire ce qu’on appelle en Espagne un rosario de cuentas gordas, les gros grains représentant les maîtres, et les petits, les disciples. On arriverait ainsi à réaliser la formule chère aux publicistes espagnols : « la variété dans l’unité ». En attendant que l’ordre naisse de la confusion, M. Juan Valera ouvre son panthéon philosophique à toutes les écoles : aristotéliciens, platoniciens, conciliateurs de Platon et d’Aristote, partisans et adversaires de Ramus ; et bien