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J.-M. GUARDIA. — histoire de la philosophie en espagne

se livrant à des considérations spécieuses, mais peu substantielles, dans le goût académique. Enfin, les généralités étant épuisées, la question fit un grand pas le jour où un curieux bibliophile, trop ingénieux pour être un diligent bibliographe, M. Adolfo de Castro, puisqu’il faut le nommer, s’avisa de publier dans la confuse Bibliothèque des auteurs espagnols de l’éditeur Rivadeneyra, un gros volume consacré aux philosophes nationaux, dont le choix montre assez que le compilateur de cette collection étrange attribue un sens très élastique au mot philosophe. Quant au long discours préliminaire, non seulement on n’y trouve pas l’ombre d’esprit philosophique, mais on y constate une incapacité absolue de philosopher. Avec toutes ses mystifications et ses paradoxes littéraires, cet auteur trop fécond n’est qu’une espèce d’abbé Trublet : ses palinodies n’annoncent pas une forte tête. Après avoir joué à l’esprit fort, il s’est replongé dans le bénitier, avec un courage qu’il ne doit pas assurément à la philosophie. Son détestable choix de philosophes espagnols, un vrai fatras, servit du moins à mettre en circulation, hors des écoles, l’idée d’une philosophie espagnole. No hay mal que por bien no venga, dit sagement le proverbe. Puisque l’Espagne a produit des philosophes, elle a donc une philosophie. Y a-t-il rien de plus clair, de plus incontestable que cet enthymème, comme on dit dans l’école ? La philosophie en Espagne, c’eût été trop raisonnable, trop modeste. La philosophie espagnole, à la bonne heure. Voilà de quoi lutter avec les autres nations qui ont ou croient avoir une philosophie, des écoles philosophiques, et non pas seulement des philosophes. Comme si la chose était indispensable, même pour une puissance de premier ordre. La Russie, malgré son nihilisme, n’affiche point de telles prétentions. Il est vrai que les peuples jeunes ne philosophent guère.

Indispensable ou non, il se trouva un parrain pour ce nouveau-né de l’imagination espagnole, un Andalou de la ville de Cordoue, concitoyen par conséquent de Sénèque le rhéteur et de Sénèque le philosophe, homme d’esprit et même de goût, quoique compatriote de Gongora ; poète passable, bon écrivain, assez bon diplomate, instruit de bien des choses peu connues en Espagne, d’une culture supérieure, possédant assez de grec pour risquer une traduction du roman pastoral de Longus, aimant peut-être la philosophie, mais épris surtout du paradoxe. Il se nomme Juan Valera, d’humeur joyeuse, riant de tout, et même du monde officiel et de la coterie académique dont il fait partie ; moitié Gascon, moitié Normand, jouant de la plume avec souplesse et dextérité, soutenant au besoin le pour et le contre avec une égale facilité, par exemple, dans