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que la règle des esprits devait s’étendre à tout le genre humain, ainsi que semble le prouver ce vœu, moins philosophique qu’impérial : « Puisque la vérité est une, une aussi doit être la philosophie. » C’est là une grosse naïveté, qu’on aurait peine à concevoir de la part d’un tel homme, si l’exercice du pouvoir suprême ne l’avait naturellement porté à la concentration, ou, comme on dit aujourd’hui, à la centralisation, malgré son culte fervent pour le polythéisme. Il est probable qu’il confondait deux choses très distinctes, la vérité et la philosophie, qui en est la recherche, selon une définition célèbre, qui paraît assez juste. Or, la découverte de la vérité, s’il en faut croire l’expérience des siècles, ne doit pas être beaucoup plus facile que la possession de la sagesse ; car les grands savants ne sont guère plus nombreux que les vrais sages : los pocos sabios que en este mundo han sido, a dit un bon juge. De sorte que, en se conformant à l’étymologie du mot philosophie, les philosophes devraient se borner modestement à aimer la sagesse et la vérité, comme deux sœurs jumelles, sans avoir d’autres prétentions. Mais les plus sages des philosophes n’ont pu s’entendre pour doter l’humanité d’une philosophie internationale, ainsi qu’en témoignent les écoles, les sectes et les doctrines diverses qui composent le fond de l’histoire des variations de l’esprit philosophique ; variations si nombreuses et si divergentes, qu’il n’y a point de formule qui puisse les résumer. On pourrait dire, tout au plus, que la philosophie a vécu entre la religion et la science, ou plutôt, de la religion et de la science, s’éloignant insensiblement de la première pour se rapprocher de la seconde, tendant à l’émancipation sans y parvenir complètement ; tantôt théologique, tantôt scientifique, et jamais autonome et tout à fait indépendante, à moins d’en venir à la négation et au scepticisme.

La confusion des termes s’est accrue de ces multiples influences chez les modernes, dont la plupart ont philosophé dans d’autres conditions que les anciens, malgré quelques velléités de persécution intolérante qu’il faut bien constater dans l’antiquité gréco-latine. Mais ces petites épidémies de fanatisme passèrent à l’état endémique, lorsqu’à l’unité impériale eut succédé l’unité théocratique. L’Église fut infiniment plus intolérante que l’Empire. Cette intolérance s’affaiblit forcément à la suite du grand schisme de la Réforme. Les protestants finirent par conquérir la liberté de penser, après la liberté de conscience ; tandis que les catholiques se trouvèrent encore plus étroitement rivés au principe d’autorité. Les philosophes anglais, allemands, hollandais spéculèrent librement, honorant et glorifiant