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M. Wundt croit que, ainsi entendu, le principe darwiniste du progrès sous l’influence de la lutte pour la vie, peut servir de point de départ à une théorie philosophique de la finalité dans les êtres vivants. La philosophie, admettant en principe l’action de la volonté sur l’organisme vivant, se posera le problème suivant : comment la volonté, qui, chez l’animal, ne poursuit que des fins simples et rapprochées, arrive-t-elle à créer ce merveilleux assemblage d’organes qu’on appelle un être vivant. Pour résoudre ce problème, il faut se rappeler d’abord que tous les mouvements qui sont d’abord coordonnés par la volonté peuvent devenir automatiques et, dès lors, s’accomplir mécaniquement sous la seule influence d’une excitation convenable ; il faut penser encore que cette excitation, qui d’abord est une impression sentie, peut perdre tout caractère conscient, devenir purement physiologique et pourtant continuer à produire le même effet. Lorsqu’un mouvement, d’abord volontaire, est ainsi fixé, organisé, la volonté, débarrassée du soin de la production et de la direction de ce mouvement, peut se tourner vers d’autres fins[1]. C’est là, en somme, le service que nous rend tous les jours l’habitude. Si nous ajoutons encore que les mouvements devenus automatiques peuvent se conserver de génération en génération, nous arriverons peut-être à comprendre comment, avec le temps, la volonté, par une série de légères modifications successives, arrive à se créer un mécanisme compliqué, qui répond à des fins de plus en plus variées. Tous les mouvements d’un organisme élémentaire, d’un protozoaire quelconque, peuvent être considérés comme des actes de volonté, en ce sens qu’ils sont tous provoqués par quelque obscur désir. Ces mêmes actes, chez des êtres plus élevés, sont devenus instinctifs, ou même se sont transformés en actions vitales (l’instinct serait ainsi une action volontaire en train de devenir une action vitale). Mais, au mécanisme qu’elle reçoit, tout fait et tout prêt à fonctionner, des générations précédentes, chaque génération ajoute volontairement quelque petit perfectionnement et c’est par l’accumulation de ces petits perfectionnements apportés au mécanisme par la volonté de chaque génération, puis devenus ensuite eux-mêmes mécaniques, que se forme petit à petit l’organisme total, si complexe qu’il soit. C’est de cette manière que, chez les animaux supérieurs et chez l’homme, toutes les fonctions vitales essentielles sont devenues purement automatiques et que la volonté ne s’applique plus qu’au système musculaire et même à une partie de ce système. On com-

  1. Voir System, p. 331, l’important chapitre intitule : Der Wtlle, der Erzeurger objectiver Naturzwecke.