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h. lachelier. — la métaphysique de m. wundt

que par la contradiction qui existe entre les images de la veille et celles du rêve, que partout, sauf chez quelques peuples enfants, il a reconnu là l’objectivité des derniers. Pour faire disparaître ces désaccords et ces contradictions, la pensée scientifique se voit obligée de renoncer successivement à l’objectivité de tous les éléments discordants ou contradictoires, ou simplement irréductibles à l’unité, qu’elle trouve dans la représentation primitive : elle les fait passer dans le domaine du sujet, parce qu’il n’est pas absurde que les états du sujet soient variables et multiples, ni que les sujets diffèrent les uns des autres par leurs modifications internes. Le sujet s’enrichit ainsi, petit à petit, de tout ce qu’a perdu l’objet ; et l’objet de son côté, dépouillé de tous les caractères qui en faisaient une intuition, change de nature et, de représentation, devient concept. C’est ainsi que la chaleur telle que la conçoit le physicien, l’eau telle que la définit le chimiste, diffèrent profondément de la chaleur et de l’eau que nos sens nous font connaître. Car quelle ressemblance y a-t-il entre une brûlure et une vibration, entre le liquide froid, transparent, que nous appelons eau et cette combinaison de molécules ou d’atomes dont parle la chimie ?

Ces concepts diffèrent notablement des concepts formels qui font l’objet des mathématiques. Ceux-ci sont pour ainsi dire plus près de la représentation, ils expriment en somme un ordre de choses que nous pouvons déjà saisir dans l’intuition, bien que souvent il y soit altéré par le mélange d’éléments subjectifs. C’est même pour cette raison que les mathématiques traduisent si facilement leurs concepts en représentations. Au contraire les concepts par lesquels la physique remplace l’intuition immédiate diffèrent profondément de cette intuition. Il est clair en effet qu’il y a moins loin, de l’ordre dans lequel les choses se présentent à nos sens au concept formel de l’espace, que d’une sensation de bleu ou de rouge à la vibration moléculaire que suppose le physicien. Aussi a-t-il fallu des siècles de travail et de réflexion pour fonder une physique objective, tandis que la mathématique objective s’est constituée sans effort et pour ainsi dire d’elle-même.

La physique a donc pour première tâche de substituer aux phénomènes de l’intuition des concepts qui fassent disparaître les contradictions de l’expérience primitive et rendent possible la réduction à l’unité du monde extérieur. Elle se propose, une fois ces concepts formés, de les relier les uns aux autres suivant le principe de Raison et de former ensuite, avec toutes les relations particulières ainsi établies, un système unique dont toutes les parties dépendent les unes des autres. Nous verrons quel rôle jouent dans la formation de ce système les idées de cause, de substance et de fin.