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san San de la doctrine de révolution. Il semble donc que M. E. soit orienté suivant deux directions différentes. On peut être criticiste. On peut être évolutionniste. Mais être les deux à la fois, me paraît difficile. Si encore un troisième personnage ne venait pas s’ajouter aux deux premiers ! M. E. qui, s’inspirant de Kant et de M. Spencer, pourrait ne pas reconnaître une haute valeur à la métaphysique des substances, n’hésite pas à invoquer l’essence de l’âme, l’essence du monde, l’essence même de leur commun principe. Concilier un phénoménisme et un substantialisme est encore plus malaisé, ce me semble, que de suivre à la fois Kant et M. Spencer.

C’est peut-être cette diversité de vues qui fait que M. E. croit impossible la distinction des fonctions mentales. Cependant j’ose dire qu’une pareille distinction ressort de son livre même. M. E. pense (je ne crois pas me tromper sur son opinion) que la connaissance est non pas une reproduction passive, mais un acte. Il ne se laisse pas duper, pas plus que Kant, par « l’analogie optique ». Mais si « l’analogie optique » est la seule raison de la subordination de la connaissance à la perception, et que M. E. n’admette pas cette analogie, il n’y a pas, ce me semble, il ne peut pas y avoir, pour M. E., de confusion entre la perception et la connaissance en général ; la perception doit être, suivant lui, une espèce, mais jamais un genre, de la connaissance. D’autre part si, comme c’est l’opinion de M. E., toute connaissance est à la fois active et passive, spontanée et réceptive, pensée et sensation, la perception a beau participer à la fois de l’un et de l’autre de ces deux caractères ; elle ne se confond ni avec l’un ni avec l’autre, précisément parce qu’elle est une fusion des deux, une pénétration de la sensation par la pensée. — Une pareille observation pourrait, sans doute, s’appliquer à chacune des phases de la démonstration.

Et s’il est contestable que la pensée se ramène à quelque fonction que ce soit de la connaissance, est-il du moins plus certain que la connaissance prise dans l’ensemble de ses fonctions, se laisse réduire au sentiment et à la volonté ? Sentir, et connaître que l’on sent, sont deux choses : tout au moins eût-il fallu prouver qu’on a tort de ne pas les identifier. Quant à la volonté, si, par définition, on commence par en faire ; l’activité fondamentale des faits psychiques, rien de plus aisé que d’y comprendre la connaissance, la perception ; mais c’est la légitimité de la définition qu’il eût fallu prouver. M. E., d’ailleurs, se contente ici de quelques indications, et ne veut pas, je pense, établir, à ce sujets une théorie définitive.

M. E. nous promet un livre sur la conscience. Nous y trouverons sans doute des raisons d’annuler la plupart des observations précédentes. Nous ne demandons pas mieux.

Henri Muller.