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analyses. — j. thomas. Principes de philosophie morale.

Nous serions donc, en somme, presque d’accord avec M. Thomas sur le fond des choses, si nous n’avions des réserves à faire sur la partie de son livre qui est, philosophiquement, la plus importante. Nous aurions voulu y trouver une étude plus approfondie sur l’essence de la moralité ou, pour mieux dire, une doctrine plus cohérente et plus démonstrative. M. Thomas pense que Kant a fait une découverte de premier ordre en reconnaissant, comme philosophe, le caractère original de la moralité auquel le sens commun seul, auparavant, croyait avec autant d’inconscience que d’obstination ; et, d’autre part, il repousse le formalisme kantien. Nous nous rangeons à son avis sur les deux points. Seulement, il aurait fallu, au lieu de s’en tenir un peu trop à des affirmations, justifier et suivre dans ses conséquences la doctrine qu’on avançait. Tout d’abord, M. Thomas se laisse abuser, semble-t-il, par le sens équivoque du mot forme. « L’instinct pousse, l’appétit commande, dit-il en citant M. Vacherot, pendant que la raison parle, que la passion crie, que la sensibilité pleure ou s’épanouit. Suivre la nature est donc une formule anarchique dont il serait impossible de tirer une véritable règle d’action. Quel chaos que la vie humaine ainsi livrée à l’expansion de toutes ses forces naturelles si la raison ne parvenait à l’organiser et à en régler les mouvements ! Donc il faut modifier la formule ainsi : développer toutes les facultés de notre nature en subordonnant toujours celles qui ne sont que les moyens, à celles dont la réunion constitue la fin propre de l’homme. Tel est l’ordre vrai, la fin, la loi de la vie humaine » (p. 127). Et il ajoute quelques lignes plus bas (p. 128) : « Ce n’est pas dans la matière du développement, c’est dans la manière dont il est gouverné, dans sa forme, que se trouve la moralité. » Mais le mot forme a deux sens : chez Aristote, il signifie le déterminé, par exemple l’espèce par opposition au genre ; chez Kant, il signifie au contraire le général. Or c’est évidemment au sens aristotélicien que l’auteur vient de prendre le mot et il croit néanmoins exprimer la pensée de Kant. Mais le formalisme kantien consiste précisément à prétendre que nous ne connaissons de la moralité que son caractère le plus général et le plus extérieur, le fond en étant nouménal et, par conséquent, inaccessible. La forme kantienne est le commencement et non l’achèvement du concept de la moralité. Si donc on conserve au mot forme, en morale, le sens kantien, et si, d’autre part, tout en rejetant le noumène, on conserve à la moralité son caractère original, on ne peut sortir du formalisme de Kant qu’en remplissant cette forme d’une matière adaptée à ses exigences, d’une matière morale, différente de la matière naturelle et, cependant, déterminable pour nous. Kant a-t-il essayé, au prix d’une inconséquence, quelque chose de ce genre ? Oui, semble-t-il ; et sa seconde formule qui, dans notre ouvrage, se juxtapose simplement à la première (p. 135), s’y rattachait bien pour lui à l’aide d’un procédé synthétique, assez mal dégagé, il est vrai. Il y avait là néanmoins une indication qu’il aurait, croyons-nous, convenu de suivre. Au lieu de le faire, M. Thomas a cherché la matière de la loi au-dessous