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analyses. — chaignet. Psychologie des Grecs.

en particulier, a repris de notre temps toute sa force. Dans une de ses notes[1], M. Chaignet fait remarquer que M. Renouvier, ce critique si pénétrant et si vigoureux, s’accorde presque en tous points sur ce sujet avec les sceptiques ; pour lui, le bagage des écoles critiques de l’antiquité, et le contenu de livres tels que ceux de Sextus Empiricus, a conservé une valeur qui s’impose à tout esprit vraiment philosophique. Mais ces philosophes, s’ils ont, bien avant Hobbes et David Hume, proclamé le principe de la relativité de nos connaissances, n’ont pas su s’élever à l’idée d’un examen méthodique de nos facultés, pour en déterminer la portée et les limites. C’est peut-être un des faits les plus singuliers de l’histoire de la philosophie que la tendance au doute se soit propagée si longtemps à travers une suite d’esprits distingués, dans l’antiquité et dans les temps modernes, avant d’aboutir à la critique systématique de nos facultés intellectuelles. Kant me paraît, en effet, avoir eu en Pyrrhon, aussi bien qu’en David Hume, son véritable précurseur, et l’on conviendra que la réponse définitive aux époques du premier s’est longtemps fait attendre. Et, d’autre part, il serait difficile de comprendre ces efforts répétés pour démontrer précisément, au prix d’inconséquences inévitables, l’inutilité de tout effort intellectuel, si l’on ne se rappelait que les sceptiques de l’antiquité avaient surtout un but pratique et moral. Leur principal souci n’était pas, en effet, d’établir cette vérité spéculative que rien n’est vrai. Ils voulaient justifier leur devise : οὐδὲν μᾶλλον, et, à force d’indifférence, assurer en eux cette tranquillité qui est le premier bien du sage.

Mais on peut y parvenir aussi par la foi, je veux dire en affirmant, au lieu de douter, en professant une doctrine sur toutes les questions qui nous importent. Les stoïciens et les épicuriens l’ont essayé. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer leurs systèmes, de dire en quoi ils se ressemblent, en quoi surtout ils diffèrent. M. Chaignet, après beaucoup d’autres, a repris cette tâche, mais en profitant, comme il est facile de le voir à ses notes si nombreuses et si savantes, des travaux de ses prédécesseurs, en en corrigeant quelquefois aussi certains détails. C’est ainsi que f œuvre magistrale de M. Ravaisson, toujours si vivante malgré les années, est prise en défaut deux ou trois fois (pages 28, 150, 175), et que M. Guyau paraît bien s’être mépris sur le vrai sens de la morale d’Épicure (page 418). Mais je ne vois rien de vraiment original dans ce nouvel exposé de la doctrine des stoïciens, si ce n’est peut-être que M. Chaignet accorde plus d’importance qu’on ne le fait d’ordinaire à leur métaphysique. Il admet aussi que, pour ces panthéistes matérialistes, l’idée de matière n’a rien d’empirique. Cette interprétation, séduisante, à mon avis, repose, il est vrai, sur une leçon contestée (page 25) ; et plus on a envie de prêter ses idées aux autres, plus il faut, je crois, se défier des textes.

L’exposé de la doctrine épicurienne est, comme je l’ai dit déjà, plus

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