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principale contre cette déclaration si nette de M. Ribot : « L’éducation peut transformer certaines qualités psychiques, elle ne les crée jamais ». Il recherche donc jusqu’à quel point l’éducation peut faire échec à l’hérédité, ou, comme le dit M. Fouillée dans la notice jointe au volume, il s’est proposé de faire la part exacte des deux termes en présence dans cette antinomie « qui domine toute la science morale et même sociale ». On retrouvera dans cet écrit les qualités éminentes qui ont signalé les autres ouvrages de M. Guyau. On y remarquera aussi, en quelques passages, un peu de hâte, l’inachevé des notes courantes, des défauts enfin dont la cruelle mort est seule coupable : elle n’a pas permis à l’auteur cette dernière refonte d’où l’œuvre sort comme elle doit demeurer.

Je ne peux accepter pourtant la thèse essentielle de ce livre. Et d’abord, il ne me plaît guère d’appliquer le mot de suggestion à l’éducation. La suggestion proprement dite comporte des procédés qui ne sont pas ceux de l’éducation ; elle suppose des sujets particuliers. L’état de l’enfant, nous dit M. Guyau, serait comparable à celui de l’hypnotisé ; tous les enfants sont hypnotisables, très facilement ouverts à la suggestion et à l’auto-suggestion. Cela signifie, plus simplement, que l’enfant est un émotif, qu’il est naturellement croyant, assez docile à prendre les habitudes qu’on lui donne ; il est une créature faible, il n’est pas un malade. On estime, il est vrai, que les sujets normaux sont hypnotisables dans la proportion de 30 pour cent ; mais cela n’importe point, car le sujet supposé normal n’en tombe pas moins dans un état anormal dès qu’on le soumet aux pratiques de l’hypnotisme. Et enfin, cette « infinité de petites suggestions » qui viennent de l’éducateur ne sont pas non plus, M. Guyau le reconnaît lui-même, la suggestion vraie, c’est-à-dire « l’effet brusque et passager d’un penchant unique et perturbateur artificiellement introduit dans l’esprit ». Ce sont là, quoi qu’on fasse, des phénomènes différents. Défions-nous donc de ces substitutions toujours hasardeuses dans le sens des mots. On établit ainsi des analogies commodes qui peuvent fournir une comparaison instructive d’un ordre de faits à un autre ; mais il n’y faut pas chercher leur explication commune.

Il se peut que la suggestion offre un moyen d’agir sur les enfants franchement anormaux. C’est un chapitre ouvert de la pédagogie future, où je ne m’engage point. Mais en somme la suggestion névro-pathique n’est pas comparable de toutes pièces à l’éducation normale, et pour peu que nous pressions le texte de M. Guyau, il parlera dans le même sens que nous. « La suggestion, écrit-il en effet, p. 41, est ainsi la transformation par laquelle un organisme plus passif tend à se mettre à l’unisson avec un organisme plus actif ; celui-ci