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ce désir en un espoir, cet espoir en une croyance. « On fait aisément croire aux hommes ce qu’ils désirent, disait La Mettrie ; on leur persuade sans peine ce qui flatte leur amour-propre… Ils ont cru qu’un peu de boue organisée pourrait être immortelle. » (Discours préliminaire, p. 7.) Mais le criminel croit à une responsabilité qu’il voudrait rejeter, il est forcé de croire ce qu’il ne désire pas, il a tout intérêt à ne pas croire à une responsabilité qui le livre au mépris public, à ses remords et à la justice humaine et divine, et cependant il se sent coupable, il se croit responsable. N’y a-t-il pas dans ce fait une preuve du libre arbitre bien autrement forte que toutes celles que donne le raisonnement ? Sans doute, « l’acte rationnellement libre est l’acte le plus mystérieux de l’économie animale et peut-être de la nature entière ». (Discours de Claude Bernard à l’Académie française.) Mais dès qu’un fait est constaté, faut-il le nier, parce qu’il est mystérieux, parce que son explication est difficile ? Ne sommes-nous pas entourés de mystères ? Que de choses existent, dont nous ne pouvons donner l’explication ! En admettant que le libre arbitre soit difficile à expliquer, ce que je ne crois pas, il reste toujours comme un fait ; il n’est point « hors des limites de l’expérience possible », comme le dit M. Lévy-Bruhl ; c’est au contraire un fait d’expérience judiciaire en même temps qu’un fait d’expérience interne.

Louis Proal,
Conseiller à la cour d’appel d’Aix.