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L. PROAL.responsabilité morale des criminels

prier pour sa défense une théorie déterministe. Et Dieu sait s’il avait le choix, tant sont nombreuses les théories qui expliquent le crime, en dehors de la responsabilité morale de l’accusé, par les fatalités de l’organisme, ou par la folie morale, ou par le milieu ambiant, etc., etc. Il est possible qu’à l’avenir les magistrats et les jurés rencontrent parmi les assassins et les voleurs un écho des doctrines déterministes. Mais, encore une fois, jusqu’ici les criminels croient eux-mêmes à leur responsabilité.

Une seule réponse reste à faire, dans le système déterministe, pour expliquer cette croyance universelle au libre arbitre ; cette explication, qui n’explique pas grand’chose, consiste à dire que cette croyance est une illusion. L’homme se croit libre, dit Spinoza, parce qu’il ignore la cause de ses actions. Mais l’homme qui tue par cupidité ou par vengeance n’ignore pas le motif qui l’a poussé au meurtre ; il sait que ce motif n’est devenu déterminant que parce qu’il a laissé grandir en lui la cupidité ou la vengeance, qu’il avait le devoir et le pouvoir de respecter la vie de son semblable ; il distingue fort bien le mobile du crime, qu’il a fait sien par son consentement, de la cause de ce crime, qui est sa volonté dépravée. Le criminel sait que le crime n’a pas été imposé par la fatalité, qu’il l’a accompli sciemment et librement, qu’il dépendait de lui de ne pas le commettre. Si le criminel se croyait à tort responsable du meurtre, du vol, de l’empoisonnement que la fatalité lui a imposé, pourrait-on imaginer une situation plus horrible ? Quoi ! la fatalité poussera un fils à tuer son père, une femme à empoisonner son mari, un ami à voler son ami ; cet assassin, cet empoisonneur, ce voleur, seront livrés au mépris public, au geôlier et au bourreau, bien qu’ils ne soient pas moralement responsables de leurs crimes ! Bien plus, ces êtres infortunés, victimes de la fatalité, n’auront pas même la consolation de se dire que ce châtiment est immérité ; leur conscience leur criera jour et nuit leur indignité, leur culpabilité ; ils se croiront responsables de leurs crimes, alors qu’ils ne le sont pas ; ils auront horreur de leur scélératesse qui n’est cependant qu’apparente ; et après avoir subi la justice des hommes, ils redouteront les effets de la justice divine, ou, pour échapper au remords qui les torture, ils se donneront la mort de leurs propres mains ! Est-il possible que le mépris public, que la peine, que le remords viennent ainsi atteindre non un coupable, mais une victime de la fatalité ?

Sans doute, l’homme est sujet à bien des illusions parce qu’il est porté à croire ce qu’il désire. C’est ainsi que les matérialistes expliquent la croyance à une vie future ; il est si cruel d’être séparé des siens ! on désire si vivement les revoir, qu’on finit par transformer