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L. PROAL.responsabilité morale des criminels

Bouches-du-Rhône, je lis encore ce passage : « Je me disposai immédiatement à soulager ma conscience chargée de ce poids énorme, qui ne me laissait aucun repos ni jour ni nuit ». Depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, les coupables expriment cette idée que le regret de la faute commise pèse sur leur conscience et que par le repentir, l’aveu de leur faute ils déchargent leur conscience d’un grand poids et la soulagent (Lois de Manou, LXI, 233 ; la Bible, Psaumes, XXXVIII, 5 ; récit chaldéo-babylonien du déluge rapporté par M. Lenormand, Origines de l’histoire, p. 174).

Dans bien des cas, j’en conviens, le repentir exprimé par les accusés n’est pas sincère. Je reconnais avec M. E. Ferri qu’il faut distinguer le vrai remords du simple déplaisir causé par la préoccupation de la peine et le désir d’y échapper. Mais, puisqu’il y a des criminels torturés par le remords, au point de se donner la mort ou de dénoncer eux-mêmes à la justice des crimes qu’elle ignorait, ou dont elle n’avait pas les preuves, comment douter de la sincérité du remords qui va jusqu’au désir de la peine, jusqu’au besoin d’une souffrance expiatoire ? Lorsque M. le Dr Despine et M. E. Ferri reconnaissent que la souffrance du remords peut aller jusque-là, est-il encore nécessaire de prouver que le remords n’est pas une fiction des poètes et des romanciers ?

Que le déterministe le plus convaincu lise la lettre écrite au roi de Portugal par le président d’Entrecasteaux qui, dans la nuit du 30 au 31 mai 1784, coupa la gorge à sa femme, afin de pouvoir épouser sa maîtresse ; il lui sera, je crois, bien difficile de ne pas croire à la sincérité de ses remords. Le président avait pris la fuite et s’était réfugié en Portugal sous le nom de chevalier de Barras. Voici un fragment de sa lettre : « Sire, c’est un coupable qui vient se jeter aux pieds de Votre Majesté ; il vient réclamer de votre justice une peine qui est devenue pour lui une grâce,… une mort qui, en expiant la cause de ses remords, mettra fin à toutes ses peines. » Après avoir fait le récit de son crime, il ajoute : « Voilà le crime que je dénonce à Votre Majesté, dont je lui demande vengeance contre moi-même ; qu’elle satisfasse sa justice en le punissant, et je bénirai sa clémence qui me délivrera des tourments affreux que les remords causent à mon âme. D’abord, après mon crime commis, accablé par son énormité, j’étais bien loin de prendre aucun parti ; mais ma famille, craignant qu’un supplice mérité n’augmentât l’ignominie dont je ne l’avais que trop couverte, m’a fait partir. J’ai fui, sans savoir oii j’irais traîner le reste d’une vie trop coupable ; mais, dès que mon âme a su retrouver sa force, elle l’a employée à se déchirer et mes jours ne m’ont plus présenté qu’une image anticipée des tour-