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mérite bien. » (Gazette des tribunaux des 21 et 22 juillet 1888.) Lorsque Abel Charon fut condamné à mort pour assassinat : « Je l’ai bien mérité ! » dit-il à demi-voix en entendant la sentence. Pour se soustraire au châtiment, les accusés, en général, repoussent l’accusation qui est portée contre eux et protestent de leur innocence, mais une fois que leur culpabilité est démontrée et déclarée, ils ne contestent jamais la légitimité de la peine ; ils trouveront quelquefois que le châtiment est trop sévère, mais ils en admettent le principe ; ils comprennent qu’ils ont mérité la punition. Dans une lettre de Marie Boyer qui a été condamnée en 1877 aux travaux forcés à perpétuité pour avoir tué sa mère avec l’aide de son amant, je trouve encore le passage suivant : « Ah ! ma pauvre Marie ! croyez que je suis bien malheureuse. Il est vrai que je mérite le plus triste sort qu’on puisse réserver à une créature humaine. »

La justice de la peine est non seulement comprise par les criminels, mais il arrive même quelquefois que des criminels viennent se dénoncer eux-mêmes à la justice, lorsque leur crime est inconnu ou lorsque les preuves de leur culpabilité n’existent pas. J’en ai vu des exemples. Les accusés qui se dénoncent eux-mêmes et vont au-devant du châtiment obéissent instinctivement à cette idée que la peine acceptée avec résignation régénère le coupable et le relève par le repentir et la souffrance. Faisant ainsi de la philosophie sans le savoir, ils mettent en pratique cette pensée de Platon que « l’homme injuste et criminel est malheureux en toute manière, mais qu’il l’est encore davantage s’il ne subit aucun châtiment, si ses crimes demeurent impunis ; qu’il l’est moins s’il reçoit de la part des hommes et des dieux la juste punition de ses forfaits ».

Assez souvent aussi, les criminels n’attendent pas la peine qui doit leur être infligée et se donnent la mort, non pas seulement pour se soustraire aux poursuites judiciaires, mais parce qu’ils ne peuvent plus supporter les souffrances morales que leur cause le souvenir de leurs crimes. « La plupart du temps, dit M. le Dr de Beauvais, médecin de Mazas, le suicide arrive dans les premiers jours de l’arrestation. Le prévenu obéit alors à une surexcitation du remords. » (Bulletin des prisons, 1888, p. 399.) J’ai même vu des accusés se suicider ou tenter de se suicider avant leur arrestation, lorsqu’ils pouvaient échapper encore à toute poursuite. Le nommé Roure, après avoir étranglé sa maîtresse à Marseille, il y a quelques années, prit la fuite et se dirigea vers la frontière ; mais une fois arrivé à Grenoble, il revint sur ses pas, pour se suicider à Orange, non loin de son pays. Il se tira au front deux coups de revolver qui ne firent que le blesser. Avant d’essayer de se donner la mort, il avait écrit une lettre à sa