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science, ou dont les facultés intellectuelles étaient troublées, au point qu’il n’avait plus son libre arbitre ». Si le fou est considéré par toutes les législations comme irresponsable, c’est surtout parce qu’il n’est plus libre, car le fait vraiment essentiel de la folie, dit M. Baillarger, « c’est la perte du libre arbitre ». M. Dagonnet s’exprime dans les mêmes termes ; pour ce savant aliéniste, la folie consiste surtout dans la privation du libre arbitre. (Annales médico-psychologiques, 1877, p. 26.) M. Brière de Boismont pense de même : « L’aliéné ne diffère de l’homme raisonnable que par l’impossibilité ou l’extrême difficulté d’exercer un contrôle sur lui-même ». (Annales médico-psychologiques, 1863, p. 190.) Cette perte du libre arbitre est attestée souvent par les malades eux-mêmes qui, se sentant privés du pouvoir de diriger leurs actes, demandent spontanément leur placement dans une maison de santé. Si, chez tous les peuples, le législateur affranchit l’aliéné de toute responsabilité, c’est parce qu’il voit surtout en lui un homme privé de son libre arbitre, esclave de ses sensations et de ses idées, ne s’appartenant plus. En droit criminel, la croyance au libre arbitre est donc le fondement de la responsabilité pénale.

Le principe des circonstances atténuantes est également fondé sur la nécessité de proportionner la peine au degré de la responsabilité morale. La loi ne considère pas le libre arbitre comme absolu, comme égal chez tous les hommes ; elle sait que la responsabilité morale varie suivant l’éducation, l’âge, le milieu, etc. ; et elle donne aux magistrats le pouvoir d’atténuer la peine, lorsque la responsabilité morale est amoindrie par des circonstances atténuantes. Par contre, si la préméditation constitue une circonstance aggravante, si l’assassinat est plus sévèrement puni que le meurtre, c’est parce que, dans le premier cas, la liberté morale de l’homme qui agit avec calcul, réflexion, est plus grande que celle de l’homme qui commet un crime dans un moment de colère.

Le Code civil, comme le Code pénal, est fondé sur la croyance au libre arbitre. Aux termes de l’article 1111, le consentement est nul, s’il n’a pas été donné librement ; la violence morale est une cause de nullité.

En résumé, toutes les législations reposent sur la croyance à la liberté morale. Dans son admirable traité de morale, Aristote avait déjà observé que la croyance au libre arbitre est supposée non seulement par la conduite personnelle de chacun de nous, mais encore par les législateurs eux-mêmes. « Ils punissent et châtient ceux qui commettent des actes coupables, toutes les fois que ces actions ne sont pas le résultat d’une contrainte. » (Morale à Nicomaque, 1. 3, ch.  6, §  6.) Et dans son autre traité sur la Grande morale, Aristote