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l’existence hors de la conscience. Évidemment celle-ci aurait besoin d’être prouvée : mais il s’agit justement de savoir si la pensée réclame pour les choses une existence hors de la conscience, et jusqu’à présent nous n’en avons pas été convaincu. Ici d’ailleurs se présente une difficulté théorique nouvelle, car il s’agirait de mettre hors de la conscience ce qui se produit dans la conscience, d’admettre une existence en partie double, de fixer le groupe entier des qualités sensibles dans une étendue extérieure à ces qualités. — Nous en dirons autant au sujet de l’existence antérieure et postérieure à la conscience actuelle. « Il n’y a aucune science, nous dit-on, qui ne parle de ce que les choses sont en elles-mêmes, en dehors de toute perception actuelle, et par conséquent du temps, qui ne soit une science de l’éternel. » C’est incontestable, répondrons-nous, car toute science, sans avoir pour cela besoin de la métaphysique, dégage des classes et des lois, c’est-à-dire des abstraits généraux dont l’extension est nécessairement illimitée dans le temps. Mais alors, la science perd de vue les choses individuelles, qui sont aussi les choses strictement réelles. Pour celles-ci, elle n’est point obligée (du moins rien encore ne nous l’a démontré) de demander une existence antérieure et postérieure à la conscience actuelle, à plus forte raison une existence éternelle. Et, d’autre part, cette existence donnerait lieu aux mêmes difficultés que l’existence extérieure des qualités sensibles. Nous croyons à l’une comme à l’autre, mais sans y être autorisés par une légitime inférence intellectuelle, et malgré les objections que la science générale serait en droit de nous adresser. En résumé, ou bien l’existence des choses n’a pas besoin de preuve, ou bien elle est entendue dans un sens théoriquement inadmissible et étranger aux besoins de la pensée.

Donc, encore ici la science phénoménale ne laisse rien en suspens. Elle peut répondre à la question d’existence aussi bien qu’à celle d’essence. Que l’on considère attentivement la nature du phénomène, et l’on y trouvera de quoi prouver son existence, comme de quoi l’expliquer. Sans dépasser l’expérience, c’est-à-dire la conscience, la pensée pose une cause et une fin pour chaque fait, et par cela même donne un fondement et une raison d’être à la série ou à l’ensemble des faits. Sans dépasser l’expérience, la pensée s’assure qu’elle n’est pas en présence d’un rêve, mais de véritables réalités au sens où elle le réclame. Par conséquent, c’est encore à tort que les positivistes ont renoncé à la question des origines et des fins : elle est bien du ressort de la science, dès qu’on la débarrasse de ses obscurités et de ses complications traditionnelles.

« C’est dans l’océan intérieur qu’il faut jeter la sonde », a écrit