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droit ? Ce n’est pas une raison que le « il faut s’arrêter » d’Aristote. Et puis, que mettrait-elle à l’origine des choses, une fois la régression arrêtée ? Une cause première faisant encore partie de la série ? Le principe de causalité, nous le savons, s’y oppose, et la pensée ne saurait renoncer à l’application de ce principe. Une cause hors de la série ? Cette cause, nécessairement universelle puisqu’elle devrait rendre compte de l’ensemble des choses, aurait un effet universel, et par conséquent nous ne comprenons pas comment apparaîtrait un seul fait individuel, et en particulier le premier terme actuellement en question. La difficulté ne serait donc que déplacée. En somme, d’ailleurs, ce n’est pas une cause que le principe placé par les métaphysiciens à l’origine des choses, c’est plutôt un absolu : mais cela ne leur procure aucun avantage, car nous savons encore que l’absolu n’explique rien, ne pouvant être ni déterminé, ni déterminant.

Mais nous ne nous en tiendrons pas à cette défense, et nous prétendrons que l’infinité de la série ne s’oppose pas à ce qu’elle ait un point de départ. Si l’on aboutit à une autre opinion, c’est qu’on se représente les faits comme étant hors de la conscience, comme existant avant elle ainsi qu’après elle, et que, dans la recherche des causes, on croit opérer une régression au sens strict du mot. Encore une fois, cette conception est fausse. Les faits n’existent que dans et par la conscience, ils ne se produisent qu’à mesure qu’elle se produit, ils ne prennent naissance qu’au moment où ils sont saisis. En conséquence, il n’y a jamais progression, mais seulement régression, dans la recherche des causes. On se figure qu’on recule d’un terme moins ancien à un terme plus ancien, en vérité on ne fait qu’avancer d’un terme actuel à un autre qui va l’être. La série des faits de conscience, même quand il s’agit de remonter vers le passé, ne se déroule que dans le sens du présent à l’avenir. Et à propos de chaque fait auquel on arrive, il doit être question, non de premier terme, mais de dernier. Or le dernier terme a toujours une cause, à savoir le fait qu’il a remplacé et qui s’est partiellement prolongé en lui. Donc la série n’est pas accrochée à l’insaisissable ; on tient la réalité sur laquelle elle se fonde ; elle ne se produit et ne se continue que dans la mesure où elle s’explique, et chacun de ses anneaux a sa cause dans un fait réellement saisi, dans un fait de conscience. Cette conclusion réclame, il est vrai, une théorie nouvelle sur la recherche des causes, mais cette théorie est possible, ainsi que nous l’avons montré ailleurs. — Cependant, si la cause ne manque jamais dans la conscience, en revanche la fin, la fin dernière, ne manque-t-elle pas toujours ? Il en serait ainsi, sans doute,