Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
J. -J. GOURD.un vieil argument

premier ne serait-il pas la condition nécessaire du second ? Il y a même plus qu’une liaison nécessaire entre les deux faits, il y a une liaison interne, une liaison de nature. Rappelons-nous ensuite que les faits sont inconditionnés dans la mesure où ils sont différents, et qu’étant toujours différents en une certaine mesure ils sont toujours inconditionnés en une certaine mesure : nous comprendrons ainsi comment le rapport de causalité que nous venons de justifier suffit à l’explication de chaque fait. Il ne s’étend pas au delà de l’élément de ressemblance, mais c’est assez qu’il s’étende aussi loin. Les choses ne sont par lui que partiellement expliquées, mais elles ne doivent pas l’être davantage. D’ailleurs que pourrait-on bien ajouter à ce rapport de causalité, à plus forte raison mettre à sa place ? — Parlerait-on de l’action mystérieuse d’une « force cachée » ? Il est toujours regrettable de recourir au mystère, justement quand il s’agit de chercher une explication. Mais il y a plus, cette hypothèse ferait disparaître toute espèce de rapport de causalité. D’abord, il ne saurait y en avoir dans le monde des phénomènes : ceux-ci seraient des manifestations, et non des effets, de la force cachée, et, d’autre part, ils resteraient sans lien direct entre eux, ils se succéderaient, mais ne se détermineraient pas. Il n’y aurait pas de causalité non plus dans le monde des forces, car comment une force, une force active, pourrait-elle être déterminée par autre chose qu’elle-même dans son activité ? Et, d’autre part, à moins de jouer sur les mots et de supprimer la dualité que suppose nécessairement tout rapport causal, comment une force pourrait-elle se déterminer elle-même ? Disons plus, comment une force active pourrait-elle en déterminer une autre ? S’il existe une certaine absoluité dans l’activité, et on a raison de l’affirmer, l’activité ne saurait être ni déterminante, ni déterminée. Comme l’absolu, elle est pour elle-même aussi bien que par elle-même, elle n’est pas plus cause qu’effet. Dès lors, on risquerait fort de n’offrir à la science que la tragédie formée d’épisodes sans lien dont parle Aristote, et de faire évanouir en même temps toute intelligibilité du monde. À moins qu’on ne se décidât à recourir à la conception d’une force unique se manifestant, comme le Dieu du panthéisme, dans l’infinie succession des phénomènes : et encore cette conception ne servirait-elle qu’à reculer les difficultés, elle ne les ferait point disparaître. — Sans s’expliquer sur cette question des forces cachées, insisterait-on pour qu’il fût tenu compte au moins de l’action du monde extérieur ? Il semble bien, en effet, que l’on ne se mettrait point de cette manière en dehors de la sphère où la détermination causale peut intelligiblement s’exercer. Il le semble, mais il n’en est rien en réalité. Comment ce monde inconnu,