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J. -J. GOURD.un vieil argument

il ? Pourquoi, au contraire, le phénomène ne serait-il pas réalité aussi bien qu’apparence, chose qui fournit l’apparition, ou qui la saisit, aussi bien que simple apparition ? Pourquoi ne serait-il pas indissolublement, indistinctement même, ce dont il est pris et ce qui prend conscience ? Une apparence, une manifestation, est-elle quelque chose si elle n’est saisie, c’est-à-dire si elle n’arrive à la conscience, et la conscience pourrait-elle, soit saisir autre chose, soit être saisie par autre chose qu’elle-même ? Et d’autre part, ne voit-on pas que la conclusion opposée suppose une rupture inadmissible dans la marche de la pensée ? D’apparence en apparence, on doit logiquement arriver encore à des apparences, et non pas à une chose qui ne paraît plus. — Éssayerons-nous plutôt de reprendre une autre pensée, que M. Secrétan a formulée ainsi : « Si l’être et le paraître ne faisaient qu’un, la science s’évanouirait avec toute différence entre l’erreur et la vérité, ainsi que le voulait Protagoras » ? Mais il n’est pas difficile d’y découvrir une confusion qui en détruit la valeur. Toute affirmation, par le fait qu’elle apparaît, est assurément une réalité, mais elle n’est pas nécessairement une vérité. Elle existe, mais est-elle vraie ? Elle n’est vraie que si elle enveloppe un rapport bien établi. Or les rapports peuvent être mal établis, dans quelque domaine que ce soit : nous entendons par là que les différences et les ressemblances peuvent toujours être inexactement dégagées. L’erreur et la vérité restent donc distinctes, même après l’identification de l’être et du paraître. Mais nous ne prétendons point passer en revue tous les arguments en faveur d’une substance, sujet ou objet, cachée sous les phénomènes. Notre réponse serait pour tous à peu près la même. Creusez davantage la notion de phénomène, dirions-nous, et ce que vous avez cru devoir chercher au delà, vous le trouverez en deçà. Dans le monde du phénomène, il y a place pour le vrai et pour le faux, pour le sujet et pour l’objet, pour le concret actif comme pour l’abstrait intelligible. Ainsi, les objets de la science sont bien les choses elles-mêmes, et non pas seulement leurs symboles. Peut-être y a-t-il d’autres choses que ces choses-là ; nous croyons même avec tout le monde qu’il en existe d’autres ; mais nous le croyons par suite d’une illusion théorique due aux exigences de la vie pratique ; la pensée, régulièrement conduite, n’est en aucune façon logiquement autorisée à poser ce nouveau monde, elle n’est pas même appelée à le faire.

Concluons donc qu’il n’y a pas encore lieu de « limiter notre orgueil scientifique », soit par la simple idée de l’ultra-phénomène, soit par des déterminations métaphysiques plus précises. La science n’est ni symbolique, ni nécessairement fragmentaire, ni extérieure. Par