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par ses manifestations, la métaphysique en serait réduite à l’étude de celles-ci, tout comme la science, et ses résultats ne pourraient être vrais que dans la mesure où les manifestations seraient fidèles, ce qu’elle n’aurait aucun moyen de décider. M. Fouillée reconnaît que la métaphysique resterait « encore en partie symbolique » : en vérité, elle le serait entièrement ; il n’y aurait à cet égard aucune différence entre elle et la science. Du moment que l’on tient la série des choses pour mystérieuse, toutes les connaissances doivent être regardées comme symboliques, et l’impossibilité d’établir une comparaison entre elles et les choses entraîne l’impossibilité d’établir des degrés dans la valeur des symboles. Mais allons plus loin : au nom de quoi distinguer ainsi entre l’être et le paraître, entre la chose et sa manifestation ? — Est-ce parce que « les lois que la science découvre ne sont pas et ne peuvent pas être des actes réels ni de réels procédés de la nature » ? Cette remarque est vraie, sans doute ; elle est vraie pour la science générale aussi bien que pour les sciences particulières ; elle serait vraie pour la métaphysique elle-même, si celle-ci restait strictement conforme aux conditions de la connaissance. Mais on ne saurait y trouver une raison de distinguer entre l’être et le paraître. C’est assez de distinguer entre le concret et l’abstrait. Les lois ne sont pas des actes réels, parce qu’elles sont des abstraits, et que le réel proprement dit, le réel agissant, est concret. Le réel agissant contient toujours un élément de différence, avec un élément de ressemblance : or dans la loi, comme dans la classe, comme dans l’abstrait général, il ne reste que l’élément de ressemblance. Il n’est donc pas étonnant que la loi n’ait pas tous les caractères du réel, et qu’elle ne soit pas une véritable action. Nous voudrions insister sur ce point et mettre en évidence les erreurs fréquentes qui s’y rapportent : en particulier celle qui consiste h chercher dans l’unité dernière, dégagée abstraitement par la philosophie, un principe générateur de la réalité, réel lui-même comme un concret. Mais tenons-nous-en pour le moment à ce qui concerne la distinction de l’être et du paraître. — N’ayant pu la légitimer par la considération précédente, dirons-nous maintenant que « d’apparence en apparence, il faut pourtant arriver à une chose qui est et qui voit, qui ne paraît plus, et n’est plus chose vue »[1] ? Mais pourquoi le faut-

  1. La pensée de M. Fouillée, sur cette question, nous a paru hésitante. Quelque-fois il semble repousser le sens ordinairement donné à la distinction de l’être et du paraître ; il la réduit à celle du tout et de la partie, de l’expérience complète et de l’expérience incomplète. Mais il ne se tient pas ferme à ce point de vue. On peut s’en apercevoir, soit dans les passages cités, soit ailleurs, par exemple quand il se demande « avec Kant, si les phénomènes, leurs lois et la loi de leurs lois, sont le tout, s’il n’y a rien ni au dedans ni au delà ».