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nous les sensations qui nous les révèlent, quelles que soient en dehors de nous les actions qui les produisent. La science positive a donc pour objet les lois, non les choses ; la vérité, non la réalité ; les formes constantes et les cadres de notre expérience, non le contenu vivant et intuitif de l’expérience même, non le sentiment intime de l’être et de l’action… Elle range les phénomènes dans l’espace et dans le temps ; elle les compte, elle les pèse, elle les nomme : elle ne les regarde jamais en eux-mêmes. » — Certes, s’il en était ainsi, nous reconnaîtrions que la pensée doit dépasser la science. L’esprit ne peut se tenir pour satisfait, même lorsque « tout brille au dehors », si « tout reste obscur au dedans ». Mais en est-il ainsi, et cette distinction est-elle fondée ? Nous ne saurions l’admettre. Non seulement nous ne comprenons pas comment on saisirait des phénomènes indépendamment des sensations qui nous les révèlent, car ils ne sont rien que par ces sensations, avec lesquelles d’ailleurs ils s’identifient ; mais encore nous ignorons comment on pourrait connaître les rapports de ces phénomènes indépendamment de leur nature. N’est-ce pas sur la nature de leurs termes que les rapports se fondent ? N’est-ce pas elle que toujours ils expriment ? Sont-ils enfin quelque chose sans elle ? Oui, même lorsqu’il ne s’agit que des rapports de succession causale, même lorsqu’on ne considère que l’ordre des choses dans l’espace, on a affaire à la nature des termes de ces rapports. Si un fait est sous la dépendance d’un autre, cela tient à leur communauté de nature. De même, la différence de situation entraîne et suppose une différence dans les qualités qui semblent plus intimes. À plus forte raison les lois, qui ne sont point intelligibles à un autre titre qu’à celui d’abstraits généraux dégagés des événements individuels, ne sauraient, sans la connaissance préalable de ces événements individuels, être dégagés par la science. Enfin ces formes constantes et ces cadres de l’expérience, dont il nous est parlé, doivent également avoir leur origine dans le contenu vivant de l’expérience intime. Donc la distinction entre « la méthode tout extérieure » de la science et la méthode intérieure qu’il serait question de réserver à la métaphysique, est sans fondement. La science, obéissant à la loi de division du travail, néglige parfois certains caractères des choses qu’elle étudie ; en particuher, elle ne considère pas toujours les qualités dernières, nous entendons celles qui ne se dégagent qu’au dernier degré de l’analyse ; mais ce qu’elle étudie, elle l’étudié au dedans aussi bien qu’au dehors, ou plutôt elle l’étudié tel que c’est.

S’attachera-t-on à ce que nous venons de concéder à propos de la division du travail, et répliquera-t-on que la science ne saurait aller