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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

II. — Outre la possibilité d’une réaction du déterminisme sur lui-même par l’idée de liberté, l’évolutionnisme des idées-forces a un second avantage moral et pratique. C’est que, considérant le déterminisme universel comme un effet, non comme un principe, il n’érige plus le déterminisme connu de nous en mesure absolue de la réalité. Tandis que l’évolutionnisme mécanique suspend la réalité entière au principe de « la persistance de la force », l’évolutionnisme psychique n’attribue au déterminisme qu’un caractère relatif. Par le fait même de penser notre activité volontaire et consciente, qui est de nature subjective, nous l’objectivons artificiellement et nous nous la représentons comme déterminée tout entière par des lois autres qu’elle-même, où elle n’a aucune part ; mais ce n’est pas la loi qui fait vraiment l’action ; c’est l’action qui contribue à faire la loi et s’y exprime. La loi est une représentation objective et une traduction déterministe de l’activité, mais, en elle-même, l’activité n’est pas l’esclavage d’une loi ; la loi est plutôt sa borne, c’est-à-dire son point de rencontre avec d’autres activités. En un mot, le déterminisme extérieur est relatif à la nature intime d’une certaine activité ou d’un ensemble d’activités dont il est l’expression, et qui peut envelopper plus que les lois actuelles ne nous révèlent. On ne peut donc pas absorber la puissance causale tout entière dans le mécanisme brut, puisque de cette même puissance causale sont sorties la pensée et la volonté, la finalité volontaire des êtres conscients ; on ne peut même pas l’enfermer tout entière dans les limites de notre pensée et de notre connaissance. Cette notion d’une puissance capable de fournir plus que notre pensée ne conçoit frappe d’un caractère provisoire toutes les formes actuelles du déterminisme, au lieu de les ériger en quelque chose de définitif et d’infranchissable. Le monde présent n’est qu’une manifestation partielle et transitoire de la causalité, et nous ne pouvons mesurer la causalité entière à notre expérience présente. Ainsi, non seulement la philosophie des idées-forces rend le déterminisme plus flexible et plus intellectuel, mais elle le change en un progrès possible et peut-être indéfini sous le rapport mental. Un évolutionnisme purement mécanique, au contraire, renfermant l’action du mental dans des limites étroites et fixes, ou même niant cette action, ferme la porte à l’espoir d’un véritable progrès. Mais ce dogmatisme négatif est inadmissible. On ne peut ni concevoir l’entier anéantissement de toute énergie psychique dans l’univers, ni imposer d’avance des bornes à l’évolution de cette énergie, conséquemment à la force de réalisation des idées. D’une part l’annihilation de toute énergie mentale est inconcevable, parce que l’idée même d’énergie est un emprunt à notre conscience et que