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La théorie de la volonté subit donc, dans la philosophie des idées-forces, un changement d’importance capitale, par rapport à l’ancienne psychologie spiritualiste et au fatalisme mécaniste en honneur dans la nouvelle psychologie. Nous avons un besoin absolu à la fois du déterminisme dans la connaissance et d’un certain indéterminisme dans la pratique. Point de science possible si tout ce qui est objet de science n’est pas déterminé selon des lois ; pas d’action possible si tout est déterminé indépendamment de notre action même, de l’idée qui la dirige, du sentiment qui l’excite, et si nous ne nous concevons pas comme coopérant pour notre part à l’avenir. La science a pour condition la dépendance des parties par rapport au tout ; l’action, la dépendance du tout en voie de se faire par rapport à ses parties intelligentes, dont nous sommes. Ces deux points de vue ne sont pas contradictoires, puisque en définitive l’action du tout et celle des parties sont réciproques. Nous ne pouvons donc agir sans nous représenter une portion de l’avenir qui, pour être, attend que nous la fassions être, une part du résultat final qui ne se produirait pas sans la pensée et le désir efficaces que nous en avons. L’avenir nous paraît ainsi non déterminé, en tant que nous participerons à sa détermination au lieu d’en être les simples contemplateurs et d’attendre passivement son lever comme celui du soleil. L’avenir nous semble d’autant plus indéterminé que nous ne savons pas, encore une fois, ce qui sera : il y a ainsi, par une bienfaisante ignorance, réelle indétermination de l’avenir pour notre esprit. L’idée de cette indétermination relative, jointe à l’idée de la part que notre moi individuel peut prendre à la détermination du résultat universel, produit en nous ce qu’on appelle l’idée de la liberté. En d’autres termes, le tout futur nous étant inconnu, nous agissons, nous partie coopérante : 1o d’après une certaine idée que nous nous formons de ce que le tout peut être et doit être ; 2o d’après une certaine idée que nous nous formons de notre pouvoir sur nous-même et sur le tout, en un mot, du degré de notre contribution personnelle à l’œuvre universelle. De là un idéal de ce qui doit être et un idéal de notre puissance pour le faire être. Agir sous ces deux idées, c’est les réaliser par le fait même, dans la mesure où elles sont réalisables. L’idée marque donc bien le point où le déterminisme finit par se retourner contre lui-même dans notre conscience, comme le serpent qui se mord la queue[1].

  1. Voir, dans la Revue philosophique (1887), l’étude consacrée à notre livre sur la Liberté et le Déterminisme par un esprit des plus pénétrants, demeuré en somme fidèle à la pensée de Kant. M. Darlu reconnaît dans notre travail des parties « solides et durables » : 1o la réfutation de l’indéterminisme, tel du moins