Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
revue philosophique

tré[1], deux aspects parallèles, mais une même série de faits diversement groupés, une même évolution réelle, dont c’est le mécanisme qui est un aspect. Cet aspect est extrait de l’ensemble par la spécialisation du moyen d’appréhension, qui est le sens : il est détaché du tout comme fragment pouvant se substituer au tout, de même qu’une formule algébrique subit les transformations et manipulations à la place des objets réels dans lesquels on finit par la retraduire. L’expérience interne est donc la plus complète, parce qu’elle nous fournit un supplément au mécanisme des faits externes : elle nous montre des processus non plus simplement produits et tout faits, mais en train de se faire, ayant le sentiment de leur propre activité et de leur direction propre.

Si toute appétition est, dans la réalité, un processus moteur en même temps que sensitif (et vice versa), nous pouvons conclure que toute appétition est force, énergie, au sens philosophique de ces mots. Désirer et sentir, c’est mesurer par la conscience, sous la forme d’une mesure concrète et non abstraite, un rapport de forces. L’arc vivant sent sa tension et l’énergie avec laquelle il se détend pour lancer la flèche : le vrai mouvement radical est son changement appétitif ; le mouvement à travers l’étendue qu’il se représente est la figuration, dans le cadre mental de l’espace, du rapport qui existe entre le changement interne et les changements externes dont il rencontre le concours ou l’opposition. Nous sentons toujours notre énergie en synergie ou en conflit avec d’autres énergies. La force mécanique mise en liberté par l’innervation et que, dans notre vie intérieure, nous expérimentons comme impulsion de l’appétit, n’est distincte que phénoménalement, non en sa nature ultime, de cette impulsion même de l’appétit. L’appétit n’est donc pas seulement le signe du processus moteur, mais un de ses facteurs constituants dans la réalité, et probablement son facteur dominant. Dès. lors, bien loin que les phénomènes vitaux et mentaux soient un simple résultat accidentel et un accompagnement ultérieur du mécanisme évolutif, ce sont au contraire, comme nous venons de le dire, les phénomènes mécaniques qui ne deviennent philosophiquement compréhensibles que par des facteurs ultra-mécaniques. Si tout mouvement local est objectif, toute force agissante est subjective, mentale, plus que locale. L’explication la plus radicale des mouvements et de l’universelle évolution est, selon nous, la tendance à réaliser le maximum de bien-être avec le minimum de peine. En un mot, l’activité réelle est dans le processus mental, qui,

  1. Voir notre étude précédente.