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tionnel au logarithme de l’excitation ; s’il était donc possible d’établir que ce courant nerveux, parvenu dans le cerveau, ne se retrouve pas et ne se continue pas sous forme de mouvement, la pensée apparaîtrait comme une transformation du mouvement. La force emmagasinée dans l’organisme dont nous disposons, dit encore à ce sujet Delbœuf, a la faculté de se transporter d’un point à un autre de l’organisme et de se mettre au service d’organes différents : je puis la dépenser soit en produisant des effets musculaires, soit en éprouvant des sensations visuelles, auditives, etc., ou en produisant de la pensée. Pendant un effort musculaire violent, — marche rapide, saut, danse, exercices gymnastiques, — la sensibilité auditive, visuelle, olfactive, tactile, de même que la pensée et l’attention, est émoussée et inerte ; il y a donc lieu de se demander si la même force peut se manifester successivement sous forme de mouvement et de pensée.

Selon nous, l’expérience ne pouvant résoudre la question ainsi posée, il faut s’adresser à l’analyse et au raisonnement. Or, si un mode de mouvement, comme la chaleur, peut se transformer en un autre mode de mouvement, comme un travail mécanique, il est absurde d’imaginer la transformation d’un pur et simple mouvement en une chose qui n’est plus un mouvement, comme la pensée. Au point de vue mécanique, la transformation des forces n’est qu’une continuation du mouvement ; il n’y a de transformé, quand nous passons de la chaleur à la lumière, que nos sensations de chaleur et de lumière ; objectivement, c’est toujours la même quantité de mouvements qui se combinent et aboutissent à des directions diverses. La liste des énergies transformables n’est donc que la liste des divers genres de mouvements : on fait abstraction de leurs causes inconnues, et on les classe artificiellement par rapport aux sensations diverses qui peuvent nous les révéler ; — ce qui est un rapport tout extrinsèque. D’après ces définitions, comment mettre le sentiment et la pensée, comme tels, dans la liste des énergies transformables ? — Nous ne pouvons pas réduire le sentiment et la pensée à de simples rapports changeant dans l’espace, à des mouvements au sens mécanique, c’est-à-dire considérés comme simples relations spatiales et indépendamment de toute cause proprement dite. Il y a dans les changements psychiques autre chose que des changements locaux ; il y a, outre leur intensité et leur durée, une qualité interne, irréductible à la simple relation externe de la droite et de la gauche, du bas et du haut ; on ne peut expliquer une sensation, comme celle de lumière, par une disposition extérieure et locale de molécules qui, dans leur intérieur, n’auraient subi aucun