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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

riches que les changements externes : ils ont lieu entre des extrêmes beaucoup plus divers et par des processus beaucoup plus diversifiés. La conscience passe du plaisir à la douleur, de l’action à la passion, de l’affirmation à la négation, de l’obscurité intellectuelle à la clarté intellectuelle, du désir à l’aversion, de l’indécision à la volition, etc. Et parmi tous ces changements intérieurs, quel est celui qui domine les autres dans la conscience ? Nous avons vu que ce n’est pas, comme l’a cru Herbart, le mouvement intellectuel de l’obscurité à la clarté, ni même celui de la différence à la ressemblance ou de la ressemblance à la différence. Le mouvement intellectuel ne se conçoit et ne se produit que par le mouvement du moindre plaisir au plus grand, et ce dernier suppose lui-même le mouvement du pâtir à l’agir, le mouvement de la volonté. Nous supposions tout à l’heure une intelligence pure et insensible, mais, à vrai dire, une telle intelligence ne passerait pas d’une idée à l’autre : aucun désir, aucun vouloir ne l’y exciterait ; elle serait une intelligence morte. Aussi, sous le rapport qualitatif et sous celui de la causalité active, telle que nous pouvons la concevoir, le mouvement extérieur n’est pour nous qu’un extrait du mouvement intérieur, et il n’est saisissable que sous la forme d’un changement dans nos sensations intérieures de la vue, du tact et des muscles. Éliminez ces sensations, le mouvement ne contient plus rien que vous puissiez concevoir : il devient un changement de rapports dans l’espace entre des termes absolument irreprésentables, qui ne sont plus ni visibles, ni tangibles, ni réductibles à quelque sensation d’effort. Le changement même dans l’espace ne se comprend que sous la forme subjective de changement intérieur, car qu’y a-t-il de plus immobile que le cadre de l’espace ? Pour y introduire un changement, il faut y mettre quelque chose de soi et de la conscience qu’on a de changer, c’est-à-dire d’éprouver diverses sensations successives qu’on réunit sous une même pensée présente. La perception même du mouvement extérieur n’est, au fond, qu’un souvenir de notre propre changement et de notre propre durée, retenu et fixé par l’attention.

En second lieu, les faits subjectifs et conscients, avec leurs lois, sont pour nous les faits réels et certains ; les faits objectifs et en particulier les faits cérébraux, avec leurs lois, sont seulement la peinture hypothétique ou le dessin hypothétique des expériences subjectives qui pourraient être réalisées par un spectateur imaginaire. L’observateur que nous avons supposé capable de voir au fond de nos cerveaux apercevrait dans leurs molécules de petits systèmes planétaires, comme disait Ampère ; les mouvements de l’astronomie cérébrale lui sembleraient analogues à ceux de l’astronomie céleste.