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plus fondamentales sont celles de résistance ; parmi nos réactions, les plus fondamentales sont celles de l’appétit interne et de la motion externe. De là pour nous, étant donnée notre organisation actuelle avec son évolution passée, la nécessité de concevoir philosophiquement le monde comme appétit et sensation. Si donc le tact est plus essentiel que les autres sens, ce n’est pas à cause de la nature spécifique des sensations qu’il fournit ; mais, d’abord, il est plus étroitement associé pour nous là l’idée de deux actions contraires qui résistent l’une à l’autre ; puis, il intéresse directement l’appétit en lui manifestant un contact immédiat qui menace ou favorise, un danger présent ou un secours présent : les autres sens, eux, voient les choses de loin et par de nombreux intermédiaires.

En résumé, d’hypothèse en hypothèse, la conception de l’univers la plus radicale à laquelle on arrive est celle de pressions et de résistances, ou plutôt d’actions et de réactions. Le mouvement, comme déplacement dans l’espace, n’est que le signe de ces rapports plus intimes ; et s’il se représente toujours sous forme visuelle et tactuelle, c’est parce que ce sont là les formes où s’étalent le mieux les éléments divers de la représentation, projetés sur le tableau de l’espace. Ces éléments demeurent encore trop confus dans le son, surtout dans les sens de l’odorat, du goût, de la température, où nous ne saisissons que des masses informes et un pêle-mêle de sensations. Mais le savant qui s’imagine avoir expliqué radicalement et philosophiquement la nature en la ramenant à des mouvements, ressemble à un homme qui croirait avoir tout lu et approfondi parce qu’il aurait rangé tous ses livres en bon ordre dans sa bibliothèque, selon la classification la plus immédiatement intelligible et la plus commode.

II. — Après avoir montré la hiérarchie des sens, selon leur rapport plus ou moins immédiat à l’activité et à l’appétit, il reste à examiner si le physique, objet des sens externes, et le mental, objet de la conscience, ont, dans la réalité, la même valeur et le même rang. La balance est-elle égale jusqu’au bout entre le physique et le psychique ? — Cette apparente égalité n’est soutenable que quand on se place, comme nous l’avons fait plus haut, au point de vue du déterminisme universel, mais il s’agit maintenant de savoir, dans ce déterminisme même, quelle est la hiérarchie des facteurs déterminants.

En premier lieu, on peut se demander si les changements psychiques sont la complication des changements physiques, ou si ce ne pas, au contraire, les seconds qui sont la simplification et l’extrait des premiers. Or, les changements internes sont beaucoup plus