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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

discernables avec le mouvement, demeure frappé de subjectivité[1]. Il y a ainsi, dans notre conscience, identité fondamentale entre les sentiments subjectifs et les objets représentés : l’objet feu et le sentiment chaleur sont, dans la conscience, la même chose avec différentes associations.

Est-ce à dire que tout genre d’explication, c’est-à-dire de transposition et de traduction, soit indifférent ? — Non, car l’évolution même des êtres organisés nous montre un ordre de développement et une hiérarchie.

Cette hiérarchie existe d’abord dans les sens mêmes. Le tact demeure toujours plus fondamental que la vue et l’ouïe, qui en ont été des raffinements au cours de l’évolution. Une lumière suppose un contact infiniment délicat, un son est un contact moins délicat ; une pression, un coup sont un contact grossier et massif, « Comment un nerf, a dit Darwin, peut-il devenir sensible à la lumière ? Plusieurs faits me disposent à croire que les nerfs sensibles au contact peuvent devenir sensibles à la lumière, et de même à ces vibrations moins subtiles qui produisent le son. » On sait comment Spencer, selon le même principe, a essayé d’expliquer la genèse de la vue. Il y a donc, dans l’ensemble des causes externes et internes dont le concours produit le tact, les éléments encore enveloppés de la vision. Selon Delbœuf, si le sens du toucher est fondamental, c’est qu’il est le sens de la pression, à laquelle toute cause physique peut se ramener : on ne conçoit pas qu’il puisse exister des êtres qui ne seraient pas doués de ce sens ; ces êtres devraient pouvoir être écrasés sans qu’ils s’en aperçussent. D’après William James, au contraire, la pression est aussi subjective que la couleur ou l’odeur. Selon nous, il y a en effet dans la pression un mode de sensation subjectif, mais le conflit, la lutte, l’énergie contrariée, la volonté contrariée, voilà ce qui n’est pas pure sensation afférente, pure manière d’être affecté ; il y a là de l’efférent, et si l’on dit que l’efférent, étant l’action du sujet, est encore plus subjectif, oui, répondrons-nous, mais ce que nous objectivons, c’est précisément ce qui, nous étant le plus intime, nous paraît l’essentiel même de l’existence. Nous ne pouvons saisir un objectif transcendant qui ne ressemblerait en rien ni à nos sensations passives, ni à notre réaction. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de nous projeter au dehors de nous-mêmes dans ce que nous avons de plus fondamental. Or, en fait, parmi nos sensations, les

  1. Barratt, ibid., p. 176 et suiv.