Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
342
revue philosophique

d’un agrégat de choses visibles ou tangibles, et il est finalement résoluble pour nous en sensations tactuelles dont les sensations visuelles sont les symboles. L’espace étant une forme maintenant organique pour les trois sens de la vision, du toucher et de la tension musculaires, toute existence extérieure vient à être représentée comme partie d’un tout épandu dans l’espace. Un stimulus tombe-t-il sur les sens de la vision ou du toucher, il est aussitôt, grâce au mécanisme organique de ces sens, projeté en un objet matériel étendu ou en un mouvement d’objet étendu ; si, au contraire, le stimulus tombe sur un autre de nos sens, comme l’ouïe ou l’odorat, le même résultat ne suit pas toujours nettement, excepté en tant qu’un son, une odeur se trouve associée à quelque objet matériel dont sa présence ravive l’idée. Quand donc nous croyons expliquer le son en le ramenant à une vibration de l’air, c’est parce que le mouvement est beaucoup plus susceptible d’une mesure exacte et d’un ordre universel que le son lui-même ; s’il en était autrement, les mouvement seraient « expliqués », pour le savant, lorsqu’ils auraient été exprimés en termes de leurs sons correspondants. On dirait (pour faire une hypothèse) : un corps d’équilibre instable tombe parce que l’accord de septième a sa résolution sur l’accord parfait. Toute explication, en effet, suppose un passage facile d’un terme à l’autre, une association qui établisse la continuité entre les termes. Or les objets extérieurs étant composés pour nous des résidus de sensations visuelles et de sensations tactiles, nous pouvons passer beaucoup plus aisément d’une sensation visuelle et tactile à l’objet extérieur tout entier que d’une autre sensation d’un autre sens ; c’est ce qui fait que l’explication visuelle et tactile nous paraît plus objective. Au contraire, l’association continue des sensations visuelles avec les sensations auditives ou avec celles de température nous fait défaut, et c’est pourquoi nous passons si difficilement d’une sensation de son ou d’une sensation de chaleur à l’image d’un mouvement. Mais, comme on l’a vu, cela tient simplement : 1o aux discontinuités qui existent entre nos divers sens ; 2o à la finesse analytique toute particulière et à l’universalité des sensations visuelles et tactiles.

En réalité, tout est pour nous objectif ou subjectif selon le point de vue : la même série de phénomènes diversement ordonnée et combinée devient objet ou sujet. Par exemple, qu’est-ce qui constitue dans notre conscience l’objet appelé feu ? L’objet feu est, pour nous, un ensemble de sensations visuelles, tactiles, etc. ; c’est le complexus tout entier projeté en dehors de nous comme antécédent de notre sensation de chaleur. La sensation de chaleur est un extrait de ce tout complexe, extrait qui, faute d’associations distinctes et