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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

que vue, que de la lumière réfléchie sur des particules vibrantes et se manifestant à mes yeux ; il n’y aurait pas là de quoi produire le son. Je puis me figurer aussi, nous l’avons remarqué tout à l’heure, des sensations tactiles, comme celle du doigt touchant une cloche, que j’aurais si je touchais mon cerveau vibrant quand la cloche même vibre ; mais dire que, dans la cause réelle et totale du son, dans la force qui le produit, il n’y a rien que de la vibration aérienne plus la vibration cérébrale, en un mot du mouvement, c’est réduire la cause du son à ses seuls éléments visible et tangible ; c’est simplement substituer deux associations de l’objet réel avec deux de nos sens à son association avec notre ouïe : c’est faire une transposition de l’ouïe dans la vue et le tact. Cette transposition n’est pas du tout une véritable explication ; c’est seulement une traduction d’une langue confuse et très synthétique dans une autre plus analytique. Nous pourrions aussi bien, nous l’avons vu, si nous étions organisés autrement, traduire tout dans le langage de l’ouïe et dire même, selon l’expression d’un philosophe anglais, Barratt, que le tremblement visible ou tangible de l’air a pour cause un son trémolo[1]. Nous exprimerions alors les forces non en termes de mouvement dans l’espace, mais en termes de changements d’harmonie, de préparations et de résolutions d’accords : la science fondamentale serait pour nous la musique.

Pourquoi donc notre science actuelle se représente-t-elle un univers de mouvements tangibles ou visibles plutôt qu’un univers de sons ? Pourquoi avons-nous une tendance naturelle et instinctive, comme Lewes l’a montré, à exprimer tous les « aspects objectifs », tous les phénomènes extérieurs, en termes de matière et de mouvement ? Cela tient à la nature et aux rapports de la vision et du toucher, à la combinaison constante des sensations musculaires, si délicates et si variées, avec les sensations de la rétine ; cela tient aux associations anciennes et incessantes des expériences visuelles avec les expériences tactuelles et avec toutes les autres expériences extérieures ; cela tient enfin au plus grand ordre, à la plus grande précision de ces expériences comparativement à celles de tout autre sens. Voilà pourquoi « c’est le sentiment optico-musculaire de mouvement qu’on invoque seul pour l’interprétation des conditions objectives de la sensation », tandis qu’on laisse de côté les autres sens. Un changement extérieur, de quelque nature qu’il soit, est représenté comme mouvement dès qu’il est objectivé comme événement extérieur : le monde externe tout entier prend la forme

  1. Physical metempiric.