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correspondance

cathédrale de Strasbourg avant de soupçonner qu’il existât une théorie des voûtes, et je connais des ingénieurs qui jugent déplorables ces édifices au point de vue savant. Qu’il y ait un plaisir provenant d’un travail inconscient de l’intelligence en présence de courbes, comme certaines lignes équipotentielles, je ne le nie point. Je sais aussi par expérience que la suggestion joue un rôle beaucoup plus considérable dans la forme que dans la couleur, dans la couleur que dans la musique, au moins chez le plus grand nombre : mais qu’est-ce que ces complications prouvent contre l’existence d’une esthétique générale ? Si l’on admet que les excitations se réduisent à des mouvements, tous les sens deviennent des tacts spéciaux, plus ou moins raffinés, qui nous présentent sous forme de qualités des différences quantitatives. Si l’on m’accorde, avec M. Sorel, qu’il y a pour un de ces tacts, l’ouïe par exemple, une loi exprimant en sens et en quantité, pour chaque variation d’excitation, l’accroissement ou la diminution dans l’unité de temps du travail physiologique dépendant du système nerveux moteur, c’est-à-dire une loi des faits de dynamogénie et d’inhibition, des phénomènes subjectifs du plaisir et de la peine, on doit m’accorder que cette loi s’appliquera aux autres tacts avec plus ou moins de modifications théoriques et de perturbations réelles. Si l’on n’admet pas l’existence d’une loi dans ce domaine des actions nerveuses, il n’y a pas lieu d’en admettre dans les autres domaines et la physiologie devient une recherche illusoire.

M. Sorel affirme que le problème esthétique ne gagne rien à être posé sous forme de synthèse. À l’exemple de Chevreul, au début de mes recherches, j’ai essayé de résoudre des problèmes d’harmonie par la pure observation. J’y ai perdu mon temps à cause du renversement des réactions psycho-physiologiques, général sous l’influence de l’état pathologique et de la fatigue. Chacun sait qu’un muscle reposé qui subit une pression s’échauffe, tandis qu’un muscle fatigué dans les mêmes conditions se refroidit. De même notre goût se renverse sous l’influence de malaises qui ne sont pas toujours conscients. Je me convainquis qu’il fallait absolument découvrir un principe dont je pusse déduire le normal dans des conditions bien définies, et ce principe, il fallait le demander à un effort synthétique.

Ce ne sont pas seulement mes raisonnements que ne comprend pas mon contradicteur, ce sont : le problème que je me suis posé, mon principe, ma méthode, mon but.

Le problème est essentiellement scientifique. Puisque toute excitation détermine des phénomènes chimiques et autres, auxquels sont liées des variations de la dynamique fonctionnelle, y a-t-il une loi qui permette de prévoir, en présence de variations d’excitations sensorielles élémentaires, les actions dynamogènes et inhibitoires mesurées par des travaux mécaniques dans l’unité de temps ? Je considère comme un fait que le plaisir et la peine sont corrélatifs de la dynamogénie et de l’inhibition ; mais la science n’a pas à se soucier de ces phéno-