Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
revue des périodiques

de tout vrai rationalisme. Le mécanisme est la philosophie préférée par la multitude dont elle flatte l’ignorance et la faiblesse congénitale d’esprit ou le manque d’énergie mentale. Kant, ainsi que Fichte, Schelling et Hegel sont de beaucoup inférieurs à Leibniz, qui est le vrai rénovateur de la philosophie téléologique dans les temps modernes. Quant à Schopenhauer, sa métaphysique pèche par la base, car sa finalité aveugle exclut le principe de raison et nous ramène par une voie détournée, au hasard des mécanistes. Parmi les philosophes récents, Lotze a été celui qui a fait faire les plus grands progrès aux idées leibniziennes. Quant à la « philosophie critique », l’auteur la caractérise comme un scepticisme ordinaire, une « ignara et perversa ratio », ennemie de la vraie philosophie.

Prince Serge Troubetskoï. Sur la nature de la conscience humaine. — L’auteur fait cette remarque judicieuse, que le but d’une revue philosophique ne saurait consister à augmenter le nombre sans cesse croissant des problèmes de philosophie et de psychologie, et que sa tâche devrait être plutôt d’en réduire autant que possible le total inquiétant, et surtout de bien poser les questions fondamentales, qui ne s’inventent pas, mais se découvrent, et auxquelles les autres se rattachent comme autant de déductions ou de conséquences. L’auteur se demande ensuite quel est le problème capital de toute philosophie, celui que l’ancienne philosophie avait déjà agité et qu’elle a légué à la philosophie nouvelle ? Ce rôle est assigné à la question des rapports du genre et de l’individu, de l’universel et du particulier qui, sous une forme extérieurement modifiée, divise encore aujourd’hui les esprits autant, sinon plus, qu’à l’époque de Platon et d’Aristote ou de la scholastique du moyen âge. Il y a dans ce problème une antinomie essentielle qu’aucune école n’a encore résolue et que la philosophie de nos jours a vainement cherché à affaiblir ou même à écarter en ramenant les deux termes contradictoires de l’antinomie au principe de la conscience individuelle, c’est-à-dire en nous présentant le général et le particulier, les idées abstraites et les choses concrètes comme autant de manifestations du sujet, autant d’états de conscience. L’empirisme anglais est parfaitement d’accord sur ce point avec l’idéalisme allemand, et tous deux nous conduisent à l’illusionisme, qui devient ainsi le dernier mot de la sagesse philosophique. Expliquant l’univers par la conscience individuelle, la philosophie moderne est toutefois incapable de comprendre la nature de la conscience elle-même. Le caractère objectivement logique des opérations de notre esprit est systématiquement nié par la philosophie anglaise, qui n’y voit guère que le produit d’associations ou de combinaisons purement psychologiques et subjectives. La certitude logique et la loi de causalité sont ramenées au même principe. Quant à l’idéalisme panthéistique des Allemands, son cas est plus grave encore : cette conception du monde est presque forcée d’envisager la conscience ou l’existence individuelle comme une erreur