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l’explication du sens profond et des lois fondamentales de la vie. Les résultats généraux des autres sciences sont également appelés à construire une conception du monde qui devra satisfaire nos besoins moraux au moins autant que les exigences de notre entendement. C’est là le vrai but de la philosophie qui ne peut être qu’une métaphysique, comme le reconnaît d’ailleurs volontiers, en faisant quelques réserves quant à la vraie signification de ce terme, une des plus grandes autorités de la science positive de nos jours, M. Wundt. — Une vaste synthèse philosophique qui soit en même temps un flambeau éclairant la conscience et la vie morale, sera surtout utile aux Russes qui ont jusqu’ici suivi avec plus ou moins d’enthousiasme les diverses voies ouvertes par la pensée philosophique de l’Occident, et qui ont tant de fois changé l’objet de leur admiration respectueuse ou de leur dédain superficiellement motivé. Française avec Voltaire, Diderot, Holbach, Helvétius, Rousseau ; allemande avec Fichte, Schelling et Hegel ; matérialiste avec Feuerbach, empirique avec Stuart Mill, Spencer et Bain, positiviste avec Auguste Comte, pessimiste avec Schopenhauer et Hartmann, psychologique avec la nouvelle école expérimentale française, la philosophie russe est devenue aujourd’hui un fouillis inextricable de doctrines contradictoires, au milieu desquelles il est très difficile de s’orienter et sous lesquelles il est à peine possible de démêler les influences primordiales ou les courants prépondérants. Les philosophes russes sont presque arrivés à ne pouvoir se comprendre les uns les autres.

Toutefois, il y a lieu de signaler, durant les dix années qui viennent de s’écouler, une recrudescence notable de l’intérêt inspiré par les questions philosophiques et une tendance très marquée à élaborer des conceptions nouvelles, originales dans le meilleur sens du mot, des doctrines qui font une large part au sentiment national et qui ne s’inclinent plus aussi docilement qu’autrefois devant les grands noms de la philosophie occidentale. Il suffira de rappeler, à cet égard, les travaux de Solovieff, Tchitchérine, Strahoff, Kozlof. Ce mouvement s’accentue et se répand de jour en jour ; la jeunesse universitaire qui semble s’être sérieusement éprise de philosophie, parait vouloir poursuivre ces études abstruses avec l’ardeur et l’élan qui l’ont caractérisée pendant la longue période d’engouement pour les sciences naturelles ; elle est, d’ailleurs, vaillamment aidée dans cette tâche par les jeunes et distingués professeurs de philosophie dont le nombre croît sans cesse, dans toutes les universités et les hautes écoles de l’Empire. La Société psychologique fondée à Moscou en 1885 par le professeur Troïtsky, a, pour sa part, également contribué à répandre le goût des mêmes études dans un public encore plus nombreux et plus hétérogène, puisqu’il comprend toutes les classes instruites de la société. Enfin, un symptôme favorable et un signe des temps peuvent s’apercevoir jusque dans la propagande éthico-religieuse qui a détourné, au profit des grandes questions morales et des problèmes fondamentaux