Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
analyses. — beaunis. Les sensations internes.

bien entendu, ce que M. Beaunis a négligé d’indiquer, qu’on fasse encore la part dans ce sens musculaire de tout ce qui est phénomène intellectuel, comme les phénomènes de représentation et de mémoire motrices ; car après cette analyse le sentiment d’innervation centrale se réduit encore ; mais précisément ce travail de réduction est indispensable pour montrer l’indépendance, et par conséquent la réalité propre, d’un tel sentiment. Qu’on le remarque d’ailleurs, toute la question est maintenant de savoir si, même entendu de cette façon, le sens musculaire existe réellement. Je ne fais aucune difficulté de reconnaître la possibilité, voire la probabilité, de l’existence d’un sentiment d’innervation centrale ; mais la démonstration rigoureuse de cette existence a-t-elle été faite jusqu’à présent ? Il est permis d’en douter, quoiqu’il y ait aujourd’hui en faveur de la réalité de ce sentiment bien des inductions légitimes. Mais de là à admettre un sens musculaire, tel que l’a compris Bain, il y a très loin.

Comment se fait-il donc que M. Beaunis, après avoir si clairement posé la question du sentiment d’innervation centrale, puisse revenir, un peu plus loin, à la vieille théorie, dont la base était si fragile, du sentiment de l’effort, entendu au sens même où le prenait Maine de Biran (p. 125) ? Pourtant, à la page 62, l’auteur avait montré le rôle joué dans Teffort par les sensations afférentes.

En somme, la plupart des questions qui concernent les sensations musculaires sont traitées dans ce livre d’une manière approfondie. On regrettera seulement peut-être de n’y pas trouver une étude du toucher explorateur et de la théorie des signes locaux relativement à la formation des notions de résistance et d’étendue. M. Beaunis n’a pas jugé non plus à propos d’exposer longuement et de discuter les nombreuses expériences concernant le rôle des canaux semi-circulaires et les sensations de vertige ; on ne peut que le regretter, car il est assurément un des hommes les plus capables de nous donner une bonne étude du vertige au point de vue psycho-physiologique.

La partie de l’ouvrage consacrée aux sensations douloureuses n’est pas moins développée, comme il a été déjà dit plus haut, ni moins intéressante.

Le livre tout entier, en définitive, montre bien l’importance, dans la vie psychique comme dans la conduite physiologique de l’individu, de toutes ces sensations internes, qui « sont les agents principaux de ce travail cérébral sourd, mystérieux, inconscient » souvent, mais non toujours, a qu’on néglige en général pour ne voir que le travail plus brillant des sens spéciaux, mais qui n’a pas moins d’importance que ce dernier au point de vue purement intellectuel et qui en a beaucoup plus au point de vue émotionnel » (p. 252). Si, par endroits, cet ouvrage est plus descriptif qu’explicatif, le défaut provient moins de l’auteur que du sujet, sur bien des points les documents précis, faits d’observation ou expériences, manquant encore ou n’étant pas assez nombreux ou assez clairs.

E. Gley.