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taire d’une attitude fixe. Un jour qu’on veut photographier un petit enfant de dix-huit mois, on lui enlève un bouquet qu’il tient à la main ; il reste un moment avec les doigts repliés comme s’il tenait encore le bouquet ; et la conservation de l’attitude s’est trouvée reproduite par la photographie. Une autre petite fille de trente mois que je regardais à table au moment où elle tendait le bras pour prendre son verre entend un bruit insolite ; elle écoute un moment, le cou tendu, la mine curieuse, et elle ne songe plus à sa main, qui reste en l’air, comme oubliée, les doigts dirigés vers le verre qu’elle allait prendre. D’ordinaire, en pareille circonstance, un adulte retire sa main, ou prend le verre et boit tout en écoutant.

Le trait saillant de tous ces phénomènes musculaires, c’est leur inconscience. J’emploie bien entendu le mot inconscience dans un sens tout relatif. Je veux dire par là que l’enfant distrait par un objet intéressant, ne s’aperçoit plus que la paume de sa main est excitée et que ses doigts se replient pour fermer la main ou pour retenir un objet ; de même, il ne sait plus, on pourrait dire il oublie, que son bras est tendu pour prendre un objet, et il garde cette position sans s’en douter. Puisque son intelligence et sa volonté cessent de diriger ces mouvements et que cependant ils continuent à se produire, on doit supposer qu’ils sont entretenus par les sensations musculaires ou autres dont le membre est le siège, suivant le schéma donné par M. Pierre Janet pour des phénomènes musculaires analogues chez les hystériques (par exemple conservation d’une attitude de catalepsie). Il se forme donc transitoirement une petite synthèse de mouvements et de sensations musculaires qui subsiste sans se confondre avec de la grande synthèse représentant la personnalité intellectuelle de l’enfant. Ce serait forcer l’interprétation de ces faits que d’y voir un dédoublement régulier de la personnalité, comparable à celui des hystériques. Nos observations sont, du reste, trop peu nombreuses pour conduire à une conclusion aussi grave. Ce qui nous paraît évident, c’est que, chez les petits enfants que nous avons étudiés, il y a une tendance à la désagrégation mentale, ce qui prouve simplement que la systématisation des éléments intellectuels qui caractérise l’adulte bien portant n’est pas encore chose faite.

Voici du reste quelques autres observations qui expliqueront notre interprétation. Tous ceux qui connaissent les enfants savent combien il est facile de les distraire et de changer leur attention d’objet ; c’est même un moyen commode de faire cesser des larmes, quand on ne veut pas avoir recours à une correction. Un petit enfant réclame à grands cris sa mère absente ; parlez-lui doucement d’autre chose, ou bien accaparez subrepticement son attention en