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pensée, de sentiment, de conscience. Nous devons interpréter le monde comme un tout, non comme une juxtaposition incohérente de parties opposées ; or, un monde où existe une vie consciente directement et immédiatement donnée à elle-même ne peut être interprété d’une manière intelligible et une d’après le pur réalisme, qui considère la pensée comme surajoutée à une réalité complète sans elle. Si nous voulons nous faire une idée véritable du complet et du réel, il ne faut pas en éliminer précisément ce qui achève le réel, ce qui le fait exister pour soi-même ; il ne faut pas nous en tenir à ce qu’il y a de plus incomplet et de plus rudimentaire, à ce que nous nommons la matière brute, au lieu de considérer ce qu’il y a de plus achevé en existence, la vie consciente. Et quand nous parlons de la vie consciente, nous désignons par là l’expérience tout entière, non pas seulement la pensée formelle avec son mécanisme froid et décoloré ; non, c’est la totalité de l’expérience interne qui est la révélation à soi de la réelle existence des choses ; c’est l’expérience comme sentiment et action, en même temps que comme pensée, qui nous donne une place parmi les choses réelles et, par cela même, fait que ces choses existent aussi pour nous. Car les choses n’existent pour nous que dans la mesure où nous leur prêtons quelque portion de ce que nous trouvons dans notre expérience interne, fût-ce seulement l’action, à défaut du sentiment et de la pensée que le vulgaire croit en être séparables.

Ainsi, par toutes les voies, nous arrivons à conclure que l’évolution universelle n’est pas vraiment universelle sans le psychique, que, par conséquent, elle ne se produit pas et ne s’explique pas entièrement sans le sentiment, sans le désir, sans la pensée. Il est irrationnel de voir partout des conditions de changement et des causes, excepté dans le seul être qui conçoit le changement, ses conditions et ses causes. Les états mentaux sont donc, pour le philosophe, des facteurs de l’évolution autant que les facteurs purement mécaniques, seuls considérés par le physicien ; le torrent des phénomènes ne coule pas d’une façon uniquement matérielle, qui exclurait de ses propres principes tout élément d’ordre mental. Les éléments psychiques ont dû exister, dès le début, sous une forme rudimentaire ; l’évolution ne fait que les rendre de plus en plus manifestes par une concentration et une complication progressives.

(À suivre,)
Alfred Fouillée.