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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

d’objectivation interne sous la forme de l’affirmation. Toute idée en effet, si par hypothèse elle est seule, s’affirme et affirme son objet. C’est par la conscience même de notre action et des bornes qu’elle rencontre, c’est-à-dire par l’idée, que nous arrivons à concevoir d’autres êtres que nous, des objets, et que nous projetons en ces objets quelque chose de nous-mêmes, que nous en affirmons certaines qualités, certains rapports. Sans la conscience, il pourrait peut-être y avoir dans le monde de la réalité, mais il n’y aurait pas de vérité ni de science. Donc, quand même on admettrait ce paradoxe que, sans la conscience, tous les savants auraient fait les mêmes découvertes et formulé les mêmes lois, que Laplace aurait écrit mécaniquement sa Mécanique céleste, il manquerait toujours à ce mécanisme la science proprement dite, c’est-à-dire l’affirmation des rapports universels.

12o Allons plus loin ; la réalité même du monde serait-elle la même sans la pensée qu’avec la pensée, sans le sentiment et le désir qu’avec le sentiment et le désir ? N’est-ce point encore un pur préjugé, quoique invétéré, de croire que la vie consciente ait la fonction toute passive et superflue de refléter, à la façon d’un miroir, un monde réel qui serait complet en existence et en fonction indépendamment de tout état de conscience ? Sans doute on est toujours obligé d’admettre un contraste entre la vie plus large du tout et les modes particuliers d’existence ou d’action qui constituent la conscience individuelle ; mais on n’a pas le droit d’interpréter ce contraste entre la partie et le tout comme une opposition entre deux espèces dissemblables d’existence, l’une qui serait la « réalité », l’autre qui ne serait qu’une « réverbération ». Il est bien clair, a dit Lotze, que l’être même de la chose n’est pas identique avec la phase de la pensée individuelle où la chose est directement perçue ou indirectement représentée ; mais cela ne veut pas dire que l’être des choses soit complet et absolu en lui-même, à part de tout facteur psychique et de toute conscience, et que l’existence se brise ainsi en deux sphères dissemblables. Au contraire, les choses ne sont dans la plénitude de l’existence que quand elles forment, avec la vie intérieure de la conscience et en relation avec la conscience, des parties inséparables de ce tout auquel seul nous pouvons attribuer l’entière réalité. D’une part, les choses ne sont pas simplement des modes d’appréhension d’esprits particuliers, le monde extérieur n’est pas l’illusion spectrale ou la projection d’esprits individuels ; mais, d’autre part, rien ne prouve que l’existence des choses soit un fait consommé, complet, à part de l’existence d’un élément universel de