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de la sélection artificielle, du triage intelligent et volontaire, qui continue et achève le triage naturel. Doué de conscience, un être peut poursuivre avec clarté le but obscurément poursuivi par les autres êtres : préservation de l’individu et de l’espèce, survivance dans la lutte pour la vie. La conscience sert ainsi à transformer le mécanisme en finalité. Tant qu’elle n’existe pas, on ne peut dire que la préservation de soi ou la survivance soit la fin essentielle et universelle pour les êtres vivants. Les processus mécaniques de la « variation spontanée » et de la « sélection naturelle » peuvent sans doute, par leur action combinée, aboutir de fait au bien de l’être vivant ; mais, étant des processus purement physiques, on ne peut dire qu’ils tendent à ce bien, ni que ce bien soit une fin. Le bien, heureux accident, surnage ici ou là, selon l’expression de William James, comme un des mille autres résultats physiques : l’évolution ne poursuit aucun bien. Mais supposez qu’à un certain moment des êtres naissent qui sentent et pensent un bien, qui conçoivent la survivance comme but aussi nettement que peut la concevoir Darwin lui-même, qui aient conscience de leur lutte intentionnelle pour la vie ; les cerveaux ainsi accompagnés de conscience seront-ils supérieurs ? Assurément. Quand le mécanisme arrive à se faire finalité intelligente, il acquiert la principale chance dans le combat pour la vie ou pour l’accroissement de la vie sous toutes ses formes. À ce titre, la conscience devient un facteur capital de la sélection.

Il résulte de ce qui précède que la conscience, chez l’homme, est un moyen de réalisation pour les idéaux, qui, sans elle, fussent demeurés de simples idéaux ou ne seraient passés à l’acte que par un accident heureux. Si je conçois l’idéal même de ma liberté possible et désirable, cette idée, devenant une fin, réagit sur le mécanisme qui déroulait auparavant sa fatalité rectiligne ; elle change sa direction, le rend plus flexible, plus voisin de la liberté même. En un mot, la conscience est une force d’objectivation extérieure. Si on veut la comparer à la lumière éclairant une machine, il faut alors supposer une machine où la lumière même, en tombant sur une plaque daguerrienne sensible à ses rayons, produirait des réactions chimiques, lesquelles finiraient par se transformer en mouvement visible et par changer la direction de la machine. Ainsi, dans la boîte de Grove, un rayon lumineux produit successivement action chimique, chaleur, électricité, magnétisme, et fait mouvoir l’aiguille sur le cadran.

11o En même temps que l’idée est une force de réalisation et d’objectivation extérieure sous la forme de la volition, elle est une force