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l’organisme. De même, des arrangements purement inconscients et insensibles de l’œil, de l’oreille, de la bouche, du nez, des doigts, n’auraient apparemment pu suffire à la besogne actuelle que ces organes doivent remplir, puisqu’il y a, en fait, des modes différenciés de sensation attachés aux courants sensoriels et qui assurent actuellement le consensus de la vie. En un mot, la loi biologique de l’équilibre mobile, admise par Spencer, implique la supposition que chaque fait qui se produit dans l’être vivant est une réponse à quelque force actuellement en action sur lui. La recherche des plaisirs comme tels et la fuite des peines comme telles ont donc dû l’une et l’autre servir, si on regarde au plus profond des choses, à maintenir l’équilibre mobile de la vie, et c’est pourquoi elles ont, comme sentiments et appétitions, joué un rôle actif dans l’évolution de la vie même. Un disciple de Spencer, M. Sergi, a écrit tout un livre destiné à expliquer, par la sélection naturelle, l’origine des fonctions psychiques comme fonctions biologiques de protection pour l’individu et pour la race. Comment donc peut-il admettre, sans se contredire, que le psychique soit « un appendice inutile », puisque le psychique est, de son aveu, un moyen de lutter avec avantage dans le grand combat pour l’existence ? Si, pour l’animal ou pour l’homme, la conscience de l’effet à produire ne servait à rien, comment les êtres conscients seraient-ils précisément ceux qui l’ont emporté de fait dans la lutte ?

Nous sommes ainsi amenés à penser que le sentiment et la conscience ont dû être des facteurs actifs de l’évolution et que toute théorie cosmique où l’on omet ces facteurs, où on se flatte d’expliquer le développement des êtres par des relations purement physiques, est philosophiquement insuffisante.

Nous allons maintenant essayer de déterminer le rôle de la conscience d’une manière plus précise, d’après l’expérience même.

2o La conscience agit comme excitant général de l’activité, de l’énergie mentale et, corrélativement, de l’énergie cérébrale. M. Féré a cherché à démontrer, par des observations psycho-physiologiques, que toute sensation non pénible est un stimulant de la force ; il admet la « puissance dynamogène » de la sensation. Guyau, dans la « contribution à la théorie des idées-forces » que contient le chapitre final d’Éducation et Hérédité, se demande s’il ne faut pas admettre, plus généralement, la puissance dynamogène de la conscience. « Nous aimons les sensations », a dit Aristote ; si nous les aimons, ajoute Guyau, c’est qu’elles ont par elles-mêmes un véritable effet tonique ; mais nous aimons aussi à avoir conscience : il