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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

d’agir ; on ne peut pas séparer la pensée du processus même comme un « résultat collatéral » : ce dualisme est enfantin. Il n’y a point un royaume des réalités où tout serait mouvement, un royaume des ombres où brillerait la lueur inerte de l’idée, per inania régna. L’univers est un, et, s’il s’y produit des êtres conscients, c’est que la conscience est aussi nécessaire au reste que le reste lui est nécessaire.

III. — En fait, les états mentaux, sentiments ou idées, manifestent des modes nombreux d’influence et, à ces divers titres, sont des conditions ou facteurs de l’évolution. Passons en revue leurs modes principaux d’action ou de réaction.

1o Les faits de conscience sont des moyens de contre-balancement et d’équilibre avec les forces du milieu. Selon la théorie biologique de Spencer, la raison d’être de toute fonction de la vie est de contrebalancer, par une exsertion de force, quelque force qui tend à la détruire[1]. En supposant que cette théorie soit vraie, le sentiment et la conscience ne doivent pas être des accompagnements inutiles ; ils doivent avoir un rôle actif dans les « contre-balances » de la vie. Nous l’avons vu en effet, si des mouvements organiques sans aucune conscience avaient été suffisants pour contre-balancer les forces antagonistes, ils auraient dû seuls se produire ; or, de fait, le subjectif s’est manifesté, en outre des arrangements physiques et au-dessus d’eux ; c’est donc qu’il était utile. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une utihté préconçue et prévue par quelque intelligence supérieure, il ne s’agit pas d’une cause finale ; il s’agit simplement de l’utilité au sens darwiniste et évolutionniste, — efficacité, supériorité de fait dans la lutte pour la vie. La sensibilité accompagne seulement les actions qui sont directement en relation avec les changements du milieu, tandis qu’une grande somme de travail est accomplie par les organes d’une manière insensible pour nous ; cette différence entre les actions senties et les actions qui ne le sont pas n’est explicable, par la théorie de Spencer, que si la sensibilité inhérente aux premières est un élément nécessaire dans les contrebalancements que présente la vie avec son milieu. Le foie, par exemple, les poumons, la rate accomplissent leurs fonctions normales sans l’accompagnement de la conscience cérébrale, qui, en conséquence, eût été inutile, nuisible même à la balance générale ; mais ces mômes organes produisent un retentissement de peine dans la conscience cérébrale quand leurs fonctions ne sont pas bien remplies ; il y a donc une influence réactive de la volonté que la peine sert à rendre possible, et la peine était requise pour la sûreté de

  1. First Principles, p. 507 de l’édit. angl. Voy. aussi Guthrie, ibid., p. 366.