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ments nécessaires pour le réaliser. Une douleur qui émeut fortement meut aussi fortement. Une représentation intense enveloppe une tendance forte à se réaliser, toutes choses égales d’ailleurs.

En d’autres termes, tout changement intérieur est lié à un changement local, à un mouvement. En effet, toute sensation nous apparaît comme un changement subi, reçu d’autre chose que de nous-mêmes ; pareillement, toute volition nous apparaît comme un changement transmis à autre chose, avec une résistance que nous avons conscience de subir ; nous ne saisissons jamais en nous une activité isolée, solitaire, nous nous sentons en contact, en conflit avec autre chose. Or, la multiplicité et la simultanéité d’actions et de réactions, de changements et de résistances aux changements, prend toujours pour nous la forme de l’étendue ; le rapport d’efforts multiples, se repoussant et s’excluant l’un l’autre, s’encadre toujours dans l’espace, forme de l’exclusion mutuelle et de l’extériorité mutuelle. C’est pourquoi nous ne pouvons, quand nous examinons attentivement notre conscience, y saisir des changements, reçus ou transmis, qui n’enveloppent pas du mouvement plus ou moins confus, dont nous avons une perception également confuse ; les rapports d’intensité et le processus dans la durée ne se séparent pas d’un processus dans l’étendue. Toutes les fonctions mentales ont donc pour antécédent, pour concomitant, pour conséquent le mouvement dans l’espace ; tout processus mental est sensori-idéo-moteur, impliquant à l’origine une impression reçue du dehors et à la fin une impulsion transmise au dehors.

Peut-être on nous objectera « l’activité propre de l’esprit », qui semble toute renfermée en soi, sans rapport à l’extérieur, et que l’esprit déploie « dans certains cas de l’association des idées, dans la conduite de l’imagination, dans la réflexion, dans le raisonnement[1] ». — Si, par là, on veut simplement dire que tout processus mental, surtout intellectuel, ne commence pas toujours et directement dans un nerf sensoriel ou périphérique, pour finir dans un muscle, une glande ou un vaisseau sanguin, on peut en effet le soutenir. Un raisonnement métaphysique ne commence pas à la périphérie sensorielle pour se terminer dans un muscle. Mais d’abord, en remontant la chaîne des événements jusqu’à l’origine, on trouverait encore là des résidus d’impressions sensorielles ; puis, en poussant jusqu’au bout, on verrait qu’il y a continuellement en nous quelque décharge sur les muscles, les glandes ou les vaisseaux sanguins, et que l’attention nécessaire au raisonnement métaphysique finit par

  1. M. Renouvier, Critique philosophique, août 1888, p. 122.