Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
revue philosophique

Mais comment faut-il concevoir ce monisme ? — Il y a deux manières, l’une transcendante, l’autre immanente. La première consiste à supposer au fond des choses une substance ou force inconnaissable, insaisissable à l’expérience, qui se manifeste dans le monde sous deux modes. C’est un type d’explication antérieur à Hume, quoique reproduit par Spencer ; on n’unit ainsi les choses qu’au moyen d’une X, sans savoir si cette X est en elle-même unité plutôt que multiplicité. Le monisme transcendant qui vient couronner le dualisme nous laisse en présence de trois mystères : la substance inconnaissable, l’aspect physique existant d’abord seul, puis l’aspect mental survenant à côté du physique, fantôme qui naît et s’évanouit sans pouvoir être expliqué ni produit par les lois mêmes du physique. Un tel système, évidemment, résout la difficulté première en la triplant par l’adjonction de deux autres difficultés non moins insolubles. Par ce pseudo-monisme, on n’a introduit aucune unité dans le monde : au lieu d’une évolution unique, on a une évolution physique à laquelle se superpose une évolution mentale, sans autre lien entre les deux que le trait d’union placé par Bain dans sa formule du « mental-physique ».

De même que ce faux monisme brise l’existence en deux ou plutôt en trois tronçons, de même il ne saurait constituer ce que Spencer appelle « l’unification du savoir ». Si, en effet, les caractères du mental sont tels qu’ils puissent être tirés, comme simples conséquences, de la théorie de la « persistance de la force », tout comme l’évolution des corps peut être déduite de cette théorie, alors la conscience doit être elle-même un mode de force, elle doit prendre place dans le cercle des échanges entre les forces corrélatives : elle n’est donc plus un pur accessoire des modes de la force physique ; elle doit être un de ces modes mêmes. Si au contraire on maintient, ainsi que le fait Spencer, l’irréductibilité du mental au physique, comment, avec cette dualité insurmontable, peut-on se flatter d’avoir « réduit le savoir à l’unité » ? Une unité transcendante et en dehors de toute expérience est un pur « problème » que la pensée se pose sans pouvoir le résoudre ; s’en servir, sous le nom d’Inconnaissable, pour l’unification des choses est illusoire. L’unité toute relative qu’on doit chercher et dont on est obligé de se contenter, ce n’est pas celle d’une substance inconnaissable ni d’une cause inconnaissable, c’est l’unité expérimentale de composition de tous les faits et de tous les êtres, qui est un lien immanent et non plus transcendant : tous les phénomènes de l’univers doivent être des moments divers de quelque même action connue par expérience, de quelque même processus composé d’éléments analogues à tous ses moments. Dès lors,