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tifique de l’existence universelle », et comme la science est la pensée même, il s’ensuit que la science comme telle, c’est-à-dire la pensée embrassant le monde, est précisément l’aspect antiscientifique du monde. Il y a une profonde irrationnalité précisément dans cette partie de la nature que nous appelons la raison, puisque celle-ci est une addition superflue à la somme totale de l’existence.

Si la conscience était tellement inutile, elle aurait entièrement disparu par sélection, comme elle disparaît ou diminue dans les faits d’habitude. Il n’en est pourtant pas ainsi : la conscience monte de plus en plus haut, illumine des hauteurs de plus en plus éloignées de son point de départ, mais elle ne disparaît pas. Elle acquiert au contraire une subtilité, une délicatesse croissante, en même temps qu’une compréhension croissante. Les détails inférieurs sont sans doute abandonnés par elle à l’habitude et à l’action réflexe ; mais, là où la conscience se porte, elle manifeste une sensibilité de plus en plus aiguë avec une intelligence de plus en plus étendue. Son apparent recul devant le mécanisme n’est qu’une concentration progressive, et quand certains savants se figurent pour l’avenir un automatisme embrassant la totalité de l’être humain, ils sont dupes d’une illusion d’optique : ils ne voient pas que l’homme devient à la fois de plus en plus machine par le côté inférieur de son être, de plus en plus conscience par le côté supérieur.

— Mais, demande Bain, comment avoir une certitude en faveur de l’hypothèse qui déclare ainsi la subjectivité utile, nécessaire même à l’évolution des êtres vivants ? Il faudrait, pour cela, pouvoir montrer de palpables contradictions. Si B est évidemment impliqué dans A, alors nous ne saurions prétendre que A aurait pu être produit ou aurait pu se développer sans B ; mais la subjectivité est de fait alliée à l’objectivité « sans aucune implication que nous puissions découvrir ». Dès lors, conclut Bain, nous sommes obligés de dire que les deux sont unis, mais non unis nécessairement, car il n’y a là ni implication ni causation.

Selon nous, au contraire, il y a à la fois implication et causation. En effet, le principe de contradiction nous oblige à ne pas mettre dans nos conclusions plus que n’impliquent nos prémisses, et, d’autre part, le principe de causalité nous oblige à ne pas admettre des effets sans cause. Or, si nous ne plaçons dans nos facteurs initiaux, dans nos principes, que des « unités d’attraction et de répulsion », des changements de lieu opérés par des atomes dont l’un passe simplement à droite et l’autre à gauche, nous aurons beau combiner ces facteurs et ces principes, nous n’en ferons jamais, comme dit Pascal, réussir la plus petite pensée ni le plus petit sentiment. Ne placer parmi