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deux théories comme des vérités partielles ou incomplètes qui, bien que s’annulant mutuellement, n’en bénéficient pas moins des faits historiques sur lesquels elles s’appuient.

Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, du désaccord plus ou moins profond entre la théorie comtiste de l’évolution intellectuelle et sociale et la loi des trois états, cette divergence ne s’étend pas au point qui nous occupe ici, aux rapports naturels de la science et de la philosophie. L’identité finale de ces deux aspects de l’évolution intellectuelle de l’humanité n’est jamais mise en doute par le fondateur du positivisme ; et ce n’est que temporairement, et eu égard à l’état d’imperfection actuelle de la philosophie, qu’il consent à les distinguer. Cette séparation demeure pourtant purement nominale ; en fait, surtout dans sa théorie des trois états, Comte n’en continue pas moins à attribuer à la philosophie le rôle qui, en réalité, a toujours appartenu à la science. C’est ainsi, par exemple, qu’il exige qu’on fasse de la philosophie la base de l’éducation sociale, sans voir que cet office serait bien mieux rempli par une discipline spéciale relevant de la biologie et de la sociologie (la psychologie concrète) ; et c’est ainsi encore qu’il veut donner à la philosophie la direction immédiate du mouvement social et politique, sans voir que ce rôle actif ne peut convenir qu’aux sciences du monde organique en général et à la sociologie en particulier. Les idées, les mœurs et, par conséquent, les institutions sont réformées depuis longtemps lorsqu’apparaît la synthèse philosophique qui les résume.

Mais la toute-puissance de la philosophie est, chez Comte, un dogme, un article de foi qui n’admet pas la discussion. C’est la philosophie qui façonne à son gré les sociétés humaines, et la science nouvelle de ces sociétés. Rénovation sociale et rénovation philosophique sont pour Comte des termes identiques. Partout dans son Cours, il s’évertue pour prouver l’opportunité ou la nécessité de la philosophie positive, considérée comme la base d’une réorganisation complète des sociétés modernes. Peines perdues, efforts inutiles, car tout peut être arrêté plutôt que l’avènement d’une philosophie. Les prémisses peuvent manquer, jamais la conclusion. Il est évident, d’ailleurs, que l’état social désigné par Comte comme anarchique, est simplement un régime qui ne lui plaît pas, et que ce qu’il appelle désordre est un ordre qui lui est antipathique. Ses préférences pour un autre régime et pour un ordre différent sont très justifiables ; mais ce qui l’est infiniment moins, c’est le tableau qu’il nous trace du passé, trop favorable à la théologie et injuste envers la métaphysique, et sa caractéristique du présent qui est trop souvent l’œuvre d’un publiciste, non d’un sociologue.

E. de Roberty.