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rapports que les choses dont la représentation peut nous émouvoir d’une façon positive ou négative, ont entre elles et avec l’ensemble général des phénomènes, — connaissance qui, à son tour, est la base de toute science et de toute philosophie. C’est donc le vrai, tel qu’il est défini par Comte lui-même (ou l’aspect théorique des choses) qui est le fondement du beau (aspect moitié théorique, moitié pratique) et du bon, de l’utile (aspect pratique, point de vue économique ou moral). Mais ce n’est pas tout. Le vrai lui-même est plus complexe que ne le croyait Comte. Il a au moins deux faces ou deux aspects, la science et la philosophie, que Comte a le plus grand tort de confondre, surtout en ce qui regarde l’avenir qui devra, au contraire, s’appliquer à développer cette distinction, en lui donnant toute l’extension dont elle est capable, et en l’appuyant sur la base solide d’une théorie de la connaissance et d’une méthodologie vraiment scientifiques.

Nous voilà donc ramenés, par notre analyse elle-même, à notre point de départ, à cette erreur capitale de Comte qui lui est, d’ailleurs, commune avec les philosophes de tous les temps, et que nous avons caractérisée comme une confusion constante de la philosophie avec la science. Je sais qu’on m’objectera la mémorable et classique scission intervenue à l’époque d’Alexandrie et l’isolement dans lequel la philosophie a depuis, dit-on, toujours vécu à l’égard des sciences. Mais cet état de choses et cette situation de la philosophie ne sont pas pour diminuer la valeur de ma thèse ou la force de mes arguments. Bien au contraire. Il est par trop manifeste qu’une obscurité profonde a longtemps voilé, aux yeux des philosophes et des savants, les vrais rapports de la philosophie avec la science ; il est même à craindre que ces ténèbres ne soient d’une nature particulièrement tenace et qu’il ne faille beaucoup de temps pour les dissiper. Or, ce n’est pas un pur paradoxe de dire que les choses ne sont réellement séparées entre elles qu’autant qu’on connaît les véritables liens qui les unissent. Par conséquent, et en l’absence d’une théorie exacte et rationnelle des rapports entre la science et la philosophie, leurs domaines respectifs ne pouvaient, à moins d’un miracle, être exactement et rationnellement délimités. Ce miracle n’a pas eu lieu. Les frontières qui séparent la philosophie de la science sont aujourd’hui encore plongées dans le vague et le chaos de l’indétermination primitive. Mais c’est précisément cette confusion chaotique qui revêt régulièrement les apparences fallacieuses, tantôt d’un isolement inexplicable qu’on voudrait faire cesser, et tantôt d’un véritable conflit, d’une lutte, où les combattants se portent des coups sans connaître les motifs qui les arment les uns contre les autres.